René Crevel vu par René Char
« C'est l'homme parmi ceux que j'ai connus, qui donnait le mieux et le plus vite don de sa nature. Il ne partageait pas, il donnait. Sa main ruisselait de cadeaux optimistes, de gentillesses radicales qui vous mettaient les larmes aux yeux. Il s'en accusait car il n'aimait pas obliger. Il était courageux et fidèle d'une bonne foi jamais relâchée. Il a lutté sa vie durant sous les fausses apparences du papillon des trèfles, sans se dégrader dans les méandres et les clairs-obscurs de la lutte ; lutté contre tout : contre ses microbes, contre l'héritage des siens, contre l'injustice des hommes, contre le mensonge qu'il avait en horreur, contre les besognes – tout en les accomplissant – auxquelles on voulait, les derniers temps, le plier sous prétexte de l'entraîner à je ne sais quelle abêtissante discipline. Mais, comme cela est fréquent chez les natures désintéressées et généreuses, il ne croyait pas à son obstination, à son importance, à sa fermeté. Il ne s'est pas tué pour manquer l'heure et la responsabilité d'un rendez-vous un peu plus lourd que les autres. Je puis m'en porter garant. Il n'était pas, lui, un voluptueux de vie maudite. »
René Char
in Revue Europe, novembre/décembre 1985