Sur le mariage gay par Benoît Duteurtre
J'avais rendez-vous ce jour-là avec un jeune journaliste qui souhaitait parler de mon dernier roman, mais aussi d'une tribune parue dans Libération à propos du « mariage pour tous ». Dans ce texte, je persiflais les associations militantes qui prétendent représenter une hypothétique « communauté gay ». Loin de m'offusquer de la possibilité du mariage, je m'étonnais toutefois que les combattants de la liberté sexuelle en soient venus à revendiquer cette forme d'union bourgeoise et religieuse, quand le pacs, assorti de quelques améliorations, offrait aux couples de même sexe un cadre juridique adapté à leur vie quotidienne. […]
Ce jeune homme, avenant et sympathique, entamait sa carrière en pigeant dans plusieurs journaux. Il cultivait également une fibre militante et contribuait, occasionnellement, à des publications queer comme il en existe beaucoup, mêlant sites de rencontres, agendas festifs et réflexions sur la question gay. Il montrait même sur cette question un certain radicalisme, quand ses préoccupations politiques plus générales semblaient se contenter d'être vaguement de gauche. Il venait ainsi, m'avoua-t-il, de cosigner un texte expliquant que toute personne qui n'approuvait pas le « mariage gay » était homophobe.
Je l'écoutais, un peu surpris, parce que les mots ont quand même un sens, que l'homophobie est une véritable phobie des homosexuels, et qu'on ne saurait tout faire entrer dans cette case. Un homosexuel qui critique le mariage comme une convention superflue est-il homophobe ? Une chrétienne, attachée à la forme traditionnelle de la parenté, mais qui fréquente sans tabous quelques copains homosexuels est-elle homophobe ? Foin de nuances ! Toute personne qui n'approuve pas la ligne du parti à 100 % est révisionniste et doit être fusillée.
Mon interlocuteur parlait pourtant avec un gentil sourire, si bien que j'avais l'impression, en l'écoutant, de découvrir un nouvel archétype social, inconnu de ma génération. Né dans les années 1980, il avait bénéficié du climat intellectuel de la France mitterrandienne, libérale en économie, progressiste sur les questions « sociétales ». À Sciences-Po, vivier des élites françaises, il avait rencontré des jeunes gens dans son genre, qui vivaient leur homosexualité dans une discrète liberté. […]
De mon côté, je m'étonnais de voir appliqué à la seule sexualité ce ton sectaire (« toute personne qui n'approuve pas le mariage gay est homophobe »). Il me semble au contraire que l'homophobie, dans la société française, est en recul, impitoyablement dénoncée par les autorités politiques, médiatiques et même religieuses. De la vie quotidienne aux plateaux télé, les gays sont désormais présents et gratifiés de sympathie. Ils font carrière sans plus se cacher, et pas seulement dans les arts, chose inimaginable il n'y a pas si longtemps. Leur situation évolue considérablement jusque dans les campagnes où je connais tel agriculteur « fier » de sa fille lesbienne ! Je ne nie pas l'existence de drames ni de violences. Mais l'idée d'une « montée de l'homophobie », dans un pays de moins en moins homophobe, me rappelle ce combat des néoféministes qui dénoncent le sexisme avec d'autant plus de virulence que celui-ci diminue. […]
À présent ce même discours émanait de jeunes homos bien intégrés et très peu victimes de l'homophobie. Bénéficiaires des droits conquis par les générations précédentes, ils redoublaient d'ardeur révolutionnaire et se plaçaient en chefs de file d'une cause héroïque, pourtant déjà gagnée. […]
Notre entretien s'achevait. […] Soudain, comme je le pressais de me dire ce que représentait exactement pour lui cette possibilité de se « marier », il m'a regardé avec sa candeur enfantine et sa barbe de trois jours, puis il a prononcé :
– Voyez par exemple cette injustice : quand un enfant lit ses premiers contes de fée, et que l'histoire se termine par : « Ils se marièrent et ils eurent beaucoup d'enfants », un jeune homosexuel se sent forcément exclu. Quand nous serons tous égaux devant la loi, et que le mot mariage aura changé de sens, cet enfant-là pourra rêver comme les autres.
Autant l'avouer, je suis resté déconcerté par cette image délicieusement kitsch, ou peut-être plutôt camp, dans le droit-fil d'une certaine littérature homosexuelle. On pourrait effectivement s'imaginer le chevalier, à la fin d'un conte de fées, partant sur son cheval avec un autre chevalier pour avoir beaucoup d'enfants. C'est pourquoi, sans doute, les deux cow-boys amoureux du Secret de Brokeback Mountain ont ému aux larmes le public sur fond de belles images du Wyoming... Pour autant (dois-je l'avouer ?), je ne me posais guère ce genre de questions à l'âge où je lisais Grimm et Perrault ; si bien que j'ai plutôt entendu cette réflexion comme une naïveté d'adulte projetant sa difficulté d'être sur ce qui l'entourait : la loi, les homophobes embusqués, les auteurs de livres pour enfants, et tant d'autres raisons qui le condamneraient à courir, toute sa vie, derrière l'impossible gommage de cette différence qu'il peinait peut-être à accepter lui-même, au point qu'elle semblait exiger, à ses yeux, de bouleverser de fond en comble toute l'organisation sociale.
Benoît Duteurtre
in Polémiques, éditions Fayard, mai 2013, ISBN : 978-2213677149, pp. 21-25