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Trois baisers, Maïté Bernard

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce roman est l'histoire de Marie-Liesse de Kergolen, lycéenne de 16 ans, scolairement très en avance sur son âge puisqu'elle est vient d'obtenir son baccalauréat. Elle raconte, son voyage qu'elle a fait à Berlin dans le cadre d'un échange musical.

Marie-Liesse est le narrateur unique de ce roman, ce qui veut dire que le lecteur n'a que son approche des événements en dehors de quelques dialogues relatés. De musique, il n'est que très peu question.

La correspondante de Marie-Liesse se nomme Louise ; ses parents – tous les deux très aisés – sont divorcés : sa mère est installée dans l'ancien Berlin-Est alors que son père est resté dans le Berlin qu'il habitait avec son ex-épouse.

Les deux adolescentes et leurs copains et copines respectifs visitent la ville entre les répétitions. Dans le groupe, il y a notamment Adèle, l'amie dont Marie-Liesse se sent très proche, et Valentin, l'ami de toujours.

 

Tous ces adolescents – bien élevés, mise à part la consommation de quelques boissons alcoolisées lors d'une soirée – forment un groupe plutôt sage, avec juste la dose d'insouciance pour les rendre modernes (?).

Marie-Liesse raconte comment trois baisers reçus, pendant le séjour à Berlin, l'ont déstabilisée.

Le premier baiser vient d'Adèle, sa meilleure amie depuis la classe de seconde :

« Adèle […] m'a ouvert les bras. J'allais la serrer affectueusement quand nos bouches se sont rencontrées. J'ai reculé avec un petit rire :

– Oups !

Et c'est là que ça a eu lieu. Elle n'a pas reculé. Elle s'est rapprochée et elle a recommencé.

Oui, recommencé.

La première fois n'était pas une maladresse. Elle était bien en train de presser ses lèvres contre les miennes. Elle était bien en train de m'embrasser. J'ai encore reculé mais son visage est resté dangereusement près et ce que j'ai vu m'a terrifiée. Elle avait l'air vulnérable. […]Je me suis retournée vers ma copine. Elle était debout, les bras ballants, l'air complètement affolée. » (pp. 43-44)

Pour Marie-Liesse, qu'Adèle plaise aux garçons était une évidence. D'ailleurs, « ils recherchaient sa présence » (p. 48). Elle ne sait donc comment interpréter ce baiser.

Marie-Liesse est une jeune fille qui trimballe avec elle beaucoup de culpabilité : elle souhaiterait reparler de ce baiser avec Adèle et en même temps n'ose plus se déshabiller seule dans sa chambre au cas où son amie entrerait. Elle pense à lui pardonner et juste après se demande pourquoi lui vient l'idée de pardon. Adèle aurait-elle commis une faute ?

Marie-Liesse pressent que, pour tourner, le moteur de sa vie a besoin de brûler le carcan de l'absurdité des traditions familiales, ghetto invisible entretenu autour d'elle par sa famille :

« Après quoi, il [le curé de la paroisse] avait gentiment essayé de me parler de l'expiation, de Kippour et de ses rituels, confirmant ainsi cette ouverture d'esprit que certains Versaillais de notre paroisse lui reprochaient. En effet, Kippour est un rituel juif qui prescrivait trois cérémonies. Dans la première, on immolait un bœuf en sacrifice d'expiation de ses propres péchés. Puis on immolait un bouc pour expier les péchés du peuple, et enfin venait le rite du bouc émissaire, chargé de tous les péchés de la communauté et chassé dans le désert. Je n'avais pas écouté la suite. Le bouc émissaire ! Voilà ce que j'avais été ! D'un seul coup, j'avais compris pourquoi j'en voulais toujours à mes parents. Mon frère avait commis un crime, mes parents nous avaient menti sur sa gravité pendant presque un mois et demi, mais c'est moi qu'on avait punie quand j'avais refusé d'aller le voir. Jusque-là, je croyais à leur jugement mais, pour la première fois, je les avais trouvés injustes et arbitraires. Je me suis rendu compte que mes sentiments pour mon frère, mes parents et Adèle étaient les mêmes : l'impression d'avoir été trahie, la vulnérabilité, la colère et la rancune. Il fallait que ça cesse. » (pp. 72-73)

Le deuxième baiser vient du père de sa correspondante : dans la chambre paternelle, sur son lit, celui-ci joue entre sa fille Louise qu'il aime d'un amour filial et Marie-Liesse un jeu trouble dont il est difficile de saisir tous les tenants et aboutissants. Est-il possible de dire que personne n'est innocent et tout le monde est coupable ; que c'est aussi bien la faute du père que celle de Marie-Liesse qui, en acceptant de s'allonger sur le lit du père, sans le savoir, devient aguicheuse ? Pour faire face, l'adolescente, qui n'est pas insensible aux charmes de cet homme, à défaut de trouver les mots pour dire « non », trouve un chemin qui la sort de cette situation qui lui déplaît.

Le troisième baiser est donné par Valentin, le garçon qu'elle considère comme « parfait ». Ce dernier baiser est solaire contrairement aux deux premiers qui auraient pu ruiner sa vie. Le séjour allemand se termine au mieux. Une fin en "happy end".

Ces trois baisers reçus par Marie-Liesse sont traversés par le souvenir de son grand frère Wallerand, qu'elle refuse de voir, emprisonné pour avoir frappé sa compagne qui est alors tombée dans un coma dont elle n'est jamais sortie.

Il est regrettable que l'auteure n'ait pas choisi une narration à plusieurs voix. Ce qui aurait permis aux lecteurs d'avoir d'autres regards, que celui de la culpabilité, sur les deux premiers baisers donnés.

Il y a bien évidemment de la cocasserie dans ces deux baisers, mais à n'en savourer que les caricatures, on risque de n'en pas sonder le fond : le désespoir d'une jeune adolescente, écartelée entre une culture qu'elle devine délétère mais qu'un passé de larmes et de sang l'oblige à respecter, et le désir d'exister sans l'impression que c'est toujours survivre.

■ Trois baisers, Maïté Bernard, Editions Syros, Collection : Tempo+, 2010, ISBN : 978-2748509243

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