Trois poèmes de Strabon
Le baiser rêvé
Hier, à l'heure où l'on souhaite bonne nuit
— Est-ce réalité ? n'est-ce qu'un songe preste ?
Un baiser de Noeris vint calmer mon ennui.
Je garde un souvenir précis de tout le reste ;
Des moindres questions qu'il m'a voulu poser.
Et des réponses qu'il m'a faites.
Mais nie l'a-t-il vraiment accordé, ce baiser ?
J'en doute encore et ne puis le supposer.
Si c'était vrai, porté sur le plus haut des faîtes,
Et bien loin de ce triste lieu
Moi, je serais devenu Dieu !
A Diphile
Nous voici tous les deux, Diphile, en bon chemin,
Il s'agit maintenant de faire longue route
Ensemble, la main dans la main,
Ecoute
Tous les deux nous tenons en ces divins instants
Qui nous joignent ici des trésors inconstants :
Moi, l'Amour et toi, la Beauté. Ce sont choses
Qui durent souvent moins que ne durent les roses,
L'Amour et la Beauté s'accordent aisément,
Dans les yeux de l'Amour la Beauté se regarde.
Dès l'abord, au premier moment
Ensuite, et si l'on n'y prend garde
De part et d'autre, on voit l'Amour et la Beauté
S'en aller librement chacun de son côté...
Le juste milieu
Moi, je hais les baisers qu'il faut prendre de force,
Les protestations qu'on crie ou dit tout bas, Les dérobades, les débats,
Les mains qui repoussent le torse
Il ne me plait pas plus, j'en atteste le dieu !
Qu'à peine entre mes bras un garçon s'abandonne,
Et s'offre sans réserve aux baisers que je donne,
Entre ces deux excès est un juste milieu,
J'aime qu'on se montre et se cache
Dans la crainte du repentir
Et ce qui me plaît, c'est qu'on sache
A la fois résister et pourtant consentir...
Strabon de Sardes (Troisième siècle avant J.-C.)
(Version inédite de Guillot de Saix)
Arcadie n°60, décembre 1958