Troubles, Claudine Desmarteau
Camille est une lycéenne, en classe de Première. Ce qu'elle adore avant tout, c'est d'être dans une salle de cinéma, dans le noir, « à l'abri du monde » (p. 169).
Le premier film dont elle se souvienne, c'est « James et la Pêche géante ». Ce film, plus exactement le personnage du rhinocéros « lui avait foutu la trouille » (p. 169).
Au cinéma, elle a le sentiment que là, il ne pourra rien lui arriver : elle oublie alors le moche de la vie, comme par exemple le fait que ses parents ne s'aiment plus.
Au cinéma, elle apprend sans juger, et, surtout sans rien risquer. A plusieurs reprises, elle offre au lecteur sa perception de quelques films qu'elle a vus (1).
C'est dans son rapport aux films que se justifie, en premier, le titre de ce roman : « Troubles ». Dans les images (1) accompagnées d'un flux de mots, de sperme et de sang, Camille plonge avant de comprendre dans quel sens il coule. Son adolescence illuminée par les films, où le sang palpite, résonne comme un tambour qui annoncerait un triste destin.
Fred, camarade de classe de Camille est son meilleur ami. Sa mère est décédée et d'une certaine manière, la lycéenne joue, pour lui, le rôle d'ange gardien. Ce qui est loin d'être inutile car le garçon ne sait pas maîtriser sa consommation de shit et d'alcool.
Il arrive parfois à Fred de secouer son amie tant il la trouve sage :
— Putain Camille, toi, c'est quand que tu te lâches ? ! Vis, un peu ! T'es là, tu bouges pas, tu regardes les autres. On dirait une caméra. C'est ça que t'es : une caméra. Un objet mort. (p. 128)
Fred est un être enfermé dans sa douleur ce qui ne l'empêche pas d'être sensible et respectueux. D'ailleurs, il ne partage pas les goûts filmiques de son amie (2). Il n'hésite pas à exprimer ses émotions à propos du film « Le secret de Brokeback Mountain » :
« C'est un beau film. Triste. J'ai chialé, à la fin. » (p. 137)
Fred pressent un autre trouble chez Camille : celui exercé par la sexualité. Il se demande si elle n'est pas homosexuelle. La jeune fille n'arrive pas à se confier :
— Et toi, Camille, t'en es où ?
— Hein ? Nulle part...
— Rien en vue ? Tu kiffes personne, en ce moment ?
— Non. Pour l'instant, c'est morne plaine.
— Camille, je peux te poser une question ? dit Fred en clignant des yeux.
— Vas -y.
— Tu préfères les filles ou les garçons ?
— T'as fumé quoi, là ?...
— Réponds pas, si t'as pas envie. (pp. 144/145)
Dans ce roman, il y a de nombreux petits indices qui laissent deviner que Fred ne se trompe pas sur les désirs lesbiens de son amie.
Dans le groupe des amis de l'adolescente, il y a Paul, un garçon qui a une vision assez restrictive du respect de l'Autre, notamment concernant l'homosexualité. Camille le mouche rudement :
— T'as peur qu'il te mette la main aux couilles ?
— J'ai pas peur, je dis juste que s'il fait ça, je lui fous mon poing dans la gueule.
— T'as peur de bander, s'il te met la main aux couilles. Avoue.
— N'importe quoi. Tu fais chier, Camille. On peut pas discuter, avec toi. (p. 74)
Dans la classe de Première, Kilian fait l'objet de toutes les moqueries. En particulier de la part de Paul. Kilian dégage une odeur si forte que même les profs font des remarques ; son problème, « c'est de se laver anormalement peu » (p. 49). Mais comme Kilian est plutôt généreux, il se retrouve souvent invité. Au cours d'un weekend à la campagne dans la maison des grands-parents de Paul, les moqueries contre Kilian dérapent et c'est le drame. Nouveau trouble pour Camille.
■ Troubles, Claudine Desmarteau, Editions Albin Michel, Collection Wiz, 188 pages, 29 août 2012, ISBN : 978-2226242891
1. Films vus par Camille :
« Trouble Every Day » réalisé par Claire Denis (2000)
« Les amours imaginaires » réalisé par Xavier Dolan en 2010)
« In the Mood for Love » réalisé par Wong Kar-wai (2000)
« Les Affranchis » par Martin Scorsese (1990)
« Lady Chatterley » réalisé par Pascale Ferran (2006)
« Dracula » réalisé par Coppola (1992)
2. Films vus par Fred :
« Le secret de Brokeback Mountain » réalisé par Ang Lee (2005)
« I Love you Philip Morris » réalisé par Glenn Ficarra et John Requa (2010)
Lionel Labosse, dans son article, fait remarquer à juste titre, qu'aucun indice grammatical ne permet d'identifier Camille comme fille ou garçon. Son ami Fred lui parle comme si ce personnage était un garçon. Ce qui ne prouve rien d'autre qu'une façon particulière d'envisager les relations entre deux mecs. A noter aussi, que la photographie de couverture qui évoque le Tadzio de « Mort à Venise » ne permet pas de résoudre cette interrogation. Si Camille est du sexe masculin, les allusions à l’homosexualité que peut faire le lecteur, s'effondrent. Et si l'auteure avait choisi tout d'abord de « troubler » le lecteur sur cette identité ?