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Un idéal petit-bourgeois par Benoît Duteurtre

Publié le par Jean-Yves Alt

Voici le genre de caricature dont on se serait passé : d'un côté, les familles défilant sous la houlette de l'Eglise catholique pour affirmer le droit de chaque enfant à un « papa » et une « maman » ; de l'autre, les porte-parole du « mariage pour tous », représentants autoproclamés de la communauté homosexuelle, dénonçant comme complice de persécutions quiconque n'approuve pas leurs exigences. Ce bruyant face-à-face, auquel tout semble se résumer, nous ferait presque oublier qu'une majorité de Français (hétérosexuelle, donc) souhaite accorder aux gays les mêmes droits qu'aux autres couples ; tandis que ces derniers, pour beaucoup d'entre eux, se contrefichent d'être mariés, n'envisagent aucunement d'adopter.

Et pour cause : l'évolution réelle de la condition homosexuelle dans un pays comme la France est largement positive. De petite réforme en changement de comportement, l'homophobie n'a plus sa place, au moins officiellement, dans cette société. Plus récemment, le Pacs – voté sous un gouvernement de gauche, amélioré sous un gouvernement de droite – a donné aux couples de même sexe un cadre juridique simple, efficace, bien plus moderne que le mariage dans son moule religieux et bourgeois en décomposition. Si bien que les hétérosexuels sont de plus en plus nombreux à opter pour cette formule.

Dans ce contexte favorable, les partisans de l'égalité des droits auraient pu se satisfaire d'une extension du Pacs, réclamée par certains et permettant d'aligner son contenu sur celui du mariage, notamment pour les questions de transmission et d'adoption. Ces codicilles se seraient imposés au Parlement sans passer par une nouvelle guerre des Anciens et des Modernes. Mais, loin de s'en tenir à ces progrès concrets, les activistes ont choisi de se placer sur le terrain symbolique, en polarisant leurs revendications sur la notion même de mariage – mot qui conserve une valeur sacrée et un sens précis pour quelques-uns.
Une lutte déjà gagnée
On peut comprendre l'enjeu du « mariage pour tous » comme symbole d'égalité. On peut s'en accommoder, tout en y voyant une forme de régression (comme si le mouvement homosexuel, après s'être affranchi de certaines contraintes sociales, voulait se rattacher à la plus conventionnelle des normes : le mariage). On peut aussi se demander pourquoi une revendication aussi récente doit soudain et immédiatement s'imposer comme une vérité indiscutable face à la définition traditionnelle du mariage ; ou face à ceux qui se posent d'honnêtes questions sur l'étrange notion de « droit à l'enfant » - même si je ne crois guère, pour ma part, qu'une famille homosexuelle soit pire ou meilleure qu'une autre.
Les représentants de la cause LGBT [lesbiennes, gays, bi et trans] ne veulent pas entendre ces subtilités, ni contourner leurs adversaires en s'appropriant la modernité du Pacs. Chefs de file d'une lutte déjà gagnée, il leur faut préserver leur rôle de militants ; toujours se poser en minorité opprimée, et dénoncer sans fin l'homophobie rampante d'une partie de la population. Héritiers du discours gauchiste, ils ont réduit la révolution aux enjeux sexuels et luttent héroïquement - avec le soutien du pouvoir – contre les derniers bataillons conservateurs. Certaines voix n'hésitent plus à expliquer que toute personne contestant l'urgence du mariage gay serait « homophobe » – discours d'un sectarisme détestable auquel fait écho celui des traditionalistes, trop heureux de sauter sur l'occasion pour prendre leur revanche, comme au temps des manifestations pour l'école libre. Mais cette opposition théâtrale arrange aussi la classe politique, tous bords confondus, en détournant l'attention des grands sujets économiques et sociaux où elle montre tant d'impuissance.
Préférer les postures révolutionnaires à l'efficacité ; faire primer le lyrisme de la persécution sur l'évolution des mœurs et des droits ; ranimer la rhétorique antifasciste face à toute personne qui ne partage pas vos urgences : voilà ce que je reproche à ceux qui prétendent parler en mon nom. On dirait que certains gays, tellement enfermés dans la question sexuelle comme seul marqueur de leur identité, n'arrivent guère à vivre sans ennemis et peinent à assumer leur émancipation. Ils cultivent une vision humiliante de leur condition qui, loin de se présenter comme une attitude réellement libre et fière, court d'un côté vers l'hystérie de la Gay Pride, de l'autre vers l'idéal petit-bourgeois du « mariage pour tous ». On pourrait discerner une expression ultime de la « honte de soi » dans ce rêve de famille, ce désir éperdu de reconnaissance sociale, ce gommage du sens des mots par lequel certains homos – n'en déplaise aux gender studies – voudraient oublier qu'ils ne seront jamais exactement dans la norme, et que ce n'est plus un péché.
Marianne n°821, Benoît Duteurtre, 12 janvier 2013
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