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Une belle compréhension par William Golding

Publié le par Jean-Yves Alt

Après la mort de sa mère, Sammy Mountjoy, le narrateur, est élevé par un vieux pasteur, qui généreusement prend en charge ses études. Plus tard, il a des maîtresses, puis se marie.

Le narrateur mentionne qu'étant enfant, il a fort bien discerné combien le vieux pasteur devait se maîtriser pour ne pas céder à l'attirance provoquée chez lui par les jeunes garçons. Sammy Mountjoy, adulte, se remémore ces événements, tout en se montrant extrêmement compréhensif :

« Je manquerais de sincérité si je prétendais ne pas avoir la certitude de ce qu'étaient les désirs effrayants de mon tuteur. Et pourtant je dois rendre mes impressions avec une extrême prudence, car, bien qu'il fût à la limite, il ne poussa jamais plus avant, vers moi ni aucun autre à ma connaissance. Il y avait une terrible bataille qui se déchaînait d'un bout de l'année à l'autre dans son cabinet de travail, où je l'entendais parfois gémir. Rien de risible en cela, ni à l'époque, ni en souvenir. Il était incapable d'approcher un enfant avec naturel, à cause des désirs profondément ancrés qui l'emprisonnaient. Il aurait pu m'embrasser, exprimer sa joie de ma présence, s'il y avait trouvé quelque plaisir. Où donc eût été le mal ? Pourquoi n'aurait-il pas souhaité flatter, caresser, embrasser la chaleur et la rondeur de la jeunesse ? Pourquoi, dans sa peau sèche et ridée, avec ses cheveux clairsemés et son corps chaque jour de moins en moins beau, de moins en moins puissant, pourquoi n'aurait-il pas désiré boire à cette fontaine si miraculeusement renouvelée de génération en génération ? Et s'il avait eu des désirs plus violents encore, eh bien, ils étaient suffisamment répandus dans le monde et ils faisaient moins de mal qu'un dogme ou un absolu politique. J'aurais pu alors me consoler par la suite en me disant : je fus de quelque utilité et d'un certain réconfort à l'un de ceux-là. »

William Golding

in Chute libre, éditions Gallimard, 1961, pp. 161/162

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