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Recherche pour “galerie au bonheur du jour expo maisons closes”

Escalier C, Elvire Murail

Publié le par Jean-Yves Alt

Escalier C tient, à la fois, de la galerie de portraits et de la chronique familiale. Famille d'élection puisqu'elle rassemble les voisins d'un immeuble new-yorkais.

L'un d'eux, Forster Tuncurry, est le narrateur des histoires d'amour et d'amitié, des passions et des rancœurs, des joies et des peines de ces quelques personnages réunis par le hasard autour de l'escalier C. Forster Tuncurry, qui se présente lui-même comme un beau garçon dans la trentaine, est un critique d'art redouté pour son intransigeance et ses discours provocateurs. Intelligent et cynique, il a une bête noire : les attachées de presse de galeries d'art. [Ce qui donne, d'ailleurs, quelques scènes d'une ironie grinçante qui dépassent, et de loin, le strict cadre du roman.]

Les voisins sont au nombre de quatre, du moins pour les plus importants : Bruce Conway, une grande gueule sympathique qui manie tour à tour la bonhomie et le ressentiment, Béatrix Holt et Virgil Sparks, un couple infernal qui ponctue de scènes de ménage incessantes la vie diurne et nocturne de l'immeuble, et enfin Coleen Shepherd, dessinateur de mode, jeune, riche, beau et homosexuel.

Ce joli monde vogue d'un appartement à l'autre, au hasard des petits déjeuners et des grands dîners, sans compter le temps passé sur le palier à deviser gaiement de choses et d'autres. Les deux personnages les plus passionnants du lot sont, sans conteste, Forster Tuncurry et Coleen Shepherd. L'un est un homme hétéro de l'espèce la plus macho, l'autre un garçon à l'apparence fragile qu'on voit, au début du livre, se laisser rouer de coups par une brute qui n'assume pas son homosexualité.

Au fil des événements qui rythment la vie agitée de la "famille" de l'escalier C, le lecteur voit s'opérer une insensible mais inéluctable modification des rapports entre le critique d'art sûr de lui et dominateur et le dessinateur de mode tendre et secret sans pour autant que la situation tienne du vaudeville à la sauce gay.

Escalier C est un roman assez exceptionnel par son mélange d'humour et de tendresse. Ecrit avec beaucoup d'efficacité - les dialogues sont rapides et percutants - c'est un formidable hymne à la joie de vivre, plein de sensibilité, se démarquant avec talent des textes où le nombrilisme tient lieu d'imagination.

Escalier C, Elvire Murail, Éditions Ecole des loisirs, Collection : Médium Poche, 1999 (réédition), ISBN : 221101836X


Du même auteur : La plume de perroquet


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com

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Gaston Chaissac : Pour retrouver «l'esprit d'enfance», cette insouciante légèreté qui donne au monde un parfum d'éternité

Publié le par Jean-Yves Alt

Cette figure réalisée par Gaston Chaissac et dénommée "Y a d’la joie ou Anatole" [Huile sur planche de bois, 194 x 29 cm, 1960] est à mi-chemin de la sculpture et du totem. Elle est sans doute née d’un regard jeté au hasard sur une planche ordinaire.

Ce personnage me surprend, m’amuse même, me réveille. Il fait rejaillir l’énergie et l’allégresse de la jeunesse qui dort au fond de moi. Tous les choix plastiques de Gaston Chaissac me renvoient à la fraîcheur, à l’innocence d’un dessin d’enfant : les vives couleurs posées en aplat, sans modulation, les contours noirs qui composent la charpente de la figure, la simplification anatomique.

Chaissac me fait oublier l’univers dominé par l’esprit de sérieux et la prétention pompeuse de nos occupations d’adultes. Il me renvoie à une autre vie pleine de jeu, de rire, de création. Qui est Anatole ? Il est l’ami que je n’ai jamais eu, celui qui se glisse dans l’élégance superficielle de mes vêtements bien repassés pour désarmer mes certitudes figées. Il m’invite à sourire de tout, à regarder la dureté, la lourdeur, la bêtise opaque du monde avec tendresse, détachement, confiance.

Dans son existence quotidienne, dans sa vie retirée et ascétique. Chaissac a payé de sa personne son refus de travailler à la commande ou de s'intégrer au système des galeries d'art. L'indépendance a un prix, et la force de vie qu’exprime la figure d’Anatole est celle d’un homme qui a refusé tous les compromis et a créé avec sa spontanéité, sans devenir jamais un artiste commercial, ni répétitif. Si l’on a qualifié Chaissac de bricoleur de génie, c’est en référence à son mépris des recettes académiques et à son caractère rebelle à toute culture traditionnelle.


Né à Avallon (Yonne), en 1910, il est d'abord artisan avant de découvrir la peinture en 1937, à Paris. Atteint de tuberculose, il s’installe en 1943 en Vendée, région où il passera toute sa vie isolée. Malgré une réelle reconnaissance des galeries et du milieu intellectuel parisien, de Jean Dubuffet à Raymond Queneau ou Robert Doisneau, Chaissac demeure un artiste marginal, assimilé de son vivant à «l’art brut» que théorise Dubuffet, cet art des autodidactes qui s’oppose à l’asphyxiante culture des musées. Il faudra attendre la rétrospective du musée national d’Art moderne en 1973 pour que son inventivité soit enfin considérée à l’égal de celle des plus grands maîtres du XXe siècle, soit près de 10 ans après sa mort, survenue en 1964.

■ Musée de l'Abbaye Sainte-Croix, Les Sables-d'Olonne

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Recrue, Samuel Champagne

Publié le par Jean-Yves Alt

Maxence, 16 ans, arrive tout juste d'Angleterre ; il est gay et son homosexualité, connue de tous, ne semble pas lui poser de grosses difficultés. Il se demande néanmoins ce qu'il en sera dans son nouvel établissement scolaire. Sera-t-il si facile de le dire ouvertement ? Max a appris aussi à « se ranger sur le côté » (p. 23)

Maxence remarque très rapidement un élève dont le comportement l'intrigue : Thomas. Mais comment aborder ce garçon si secret dont les réponses incitent plus au rejet qu'à l'empathie. Thomas a des cheveux blonds et longs ; son visage fin, ses yeux bleus ne laissent pourtant pas insensible Maxence.

Maxence ne sait pas avec qui il se liera d'amitié dans son nouvel environnement ; il se dit qu'il est préférable – au moins dans un premier temps – de cacher son homosexualité.

Maxence est sportif et adore le football (à Montréal, on dit « soccer »). Très rapidement des élèves de sa classe lui demandent d'intégrer leur équipe. L'un d'eux, Simon, lui propose de « liker » cette équipe sur un réseau social où elle est inscrite. Maxence préfère dire qu'il n’est pas inscrit sur ce réseau car sur son mur de présentation, il y a des photos de la dernière parade de la fierté gaie de Londres, à laquelle il a assisté. Et surtout... dans la case sur l'orientation sexuelle, il a coché « interested in men », alors... il n'est pas question que les membres de l'équipe de soccer soient au courant. Maxence se promet d'effacer son compte et d'en créer un autre. Il n'a pas envie qu'on lui pose des questions. Maintenant qu'il est ici, il veut tout recommencer à zéro.

Il reste que Thomas continue de l'intriguer et de l'attirer. Mais les autres élèves de la classe préviennent Maxence de ne pas le fréquenter car alors tout le monde pensera qu'il est aussi une « tapette », un « fif » (1) car pour eux, il n'y a aucun doute, Thomas est gay. Maxence se demande comment ils peuvent en être sûrs :

« Il fait de la danse. De la danse avec des collants, tu vois le genre. Tu peux pas aimer ce genre de danse et être straight ! C'est pour les filles, le ballet » répond Simon. (p. 29)

Maxence n'a jamais été gêné – auparavant – de parler de son homosexualité. Il se disait qu'il n'y a rien de mal à être gay, rien de mal à être hétéro, rien de mal à demander, donc... Mais ça, c'était avant. Depuis son arrivée à Montréal, depuis qu'il essaie de faire connaissance avec Thomas, il remet en question tout ce qu'il pensait savoir et comprendre à propos de sa propre homosexualité. Il n'a plus cette confiance dont il était si fier auparavant.

Pour Thomas, les interrogations sont tout autant pénibles :

« Arrête, tu sais que tu l'es, se morigène-t-il, tu le sais. Souviens-toi comment tu as regardé les fesses de Max. Comment tu as réagi quand il t'a touché. Les frissons et tout... Et puis, quand il s'approche, ce n'est pas de la gêne que tu ressens, c'est du désir. Du désir ! Et les gars du cours de danse ? N'essaie pas de prétendre que tu les regardes juste pour étudier leurs mouvements... Tu n'aimes pas les filles. Tu n'aimes pas les filles. Tu. N'aimes. Pas. Les. Filles. […] En plus, j'ai un kick (2) sur Maxence... » (pp. 92-93)

Maxence et Thomas se rapprochent peu à peu et se sentent heureux ensemble.

Les injures ne cessent pas et Maxence en devient également la cible :

— J'espère que vous allez pogner le sida et crever, maudites tap... (p. 236)

Simon qui est le seul à avoir découvert sur le réseau social le profil de Maxence fait chanter ce dernier : contre argent, il ne parlera pas…

Maxence et Thomas seront-ils un jour heureux, impatient du bonheur de l'autre, apaisé d'appartenir à quelqu'un, disponible pour connaître l'amour, la paix ?

Ce roman traite avec beaucoup de minutie et de précisions les interrogations des deux jeunes protagonistes : il montre subtilement les déductions erronées que font chacun des personnages à partir d'un événement sans signification particulière ; il témoigne comment une situation fortuite peut prendre une signification totalement subjective ; il rappelle que souvent seuls sont retenus les épisodes perçus comme négatifs ; il atteste la contamination de toutes les relations à partir d'une seule perception négative ; il confirme enfin que trop souvent les réactions viennent d'une analyse sans nuance des moments vécus.

(1) Fif : Au Québec, un fif est un homosexuel. Se faire traiter de fif est l’insulte suprême, surtout pour les jeunes garçons de 12 à 18 ans.

(2) Kick : Nom masculin propre au langage populaire québécois, avoir un kick c'est avoir le béguin pour quelqu'un.

■ Recrue, Samuel Champagne, Ottawa (Canada), Éditions de Mortagne, Collection Tabou, 284 pages, 7 août 2013, ISBN : 978-2896622788


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com

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Rendez-vous sur le lac, Cathy Ytak

Publié le par Jean-Yves Alt

Chronique adolescente

Marion est une adolescente qui préfère sa vie villageoise au brouhaha du lycée ; les longues promenades en forêt aux leçons scolaires ennuyeuses. Observer la nature réelle plutôt que celle décrite dans les livres.

Elle adore aussi sa "jeune" grand-mère qui en connaît un rayon sur les secrets des plantes… sans oublier qu'elle sera particulièrement présente pour déceler différents tracas de sa petite fille. Elle ira jusqu'à lui montrer qu'il est parfois nécessaire de désobéir.

Marion a aussi une copine de lycée, Aurélie, qu'elle ne comprend pas, car elle change de petit copain comme de chemise. Marion est à l'image de la petite vallée où elle habite : silencieuse, froide, taiseuse comme lui dit l'homme chargé de l'entretien de la chaudière :

Taiseuse... Je me tais souvent et je ne suis guère bavarde, c'est vrai. Mais pourquoi les gens croient-ils toujours que si on se tait c'est qu'on ne pense rien ? En fait, je n'arrête pas de penser. Si les gens me parlaient de ce qui m'intéresse, je serais certainement plus loquace... (page 14)

Pour les vacances de Noël, sa grande sœur, Camille, l'invite à venir passer quelques jours à Paris où elle travaille. Marion accepte, non pas pour le plaisir de découvrir Paris, mais pour revoir sa sœur aînée qu'elle n'a pas vue depuis quelques temps. Là-bas, Camille lui annonce que sa colocataire, Julie, est aussi son amante :

- Marion, j'ai quelque chose à te dire...

- Hum...

Sa voix devient grave. Je connais assez ma sœur pour percevoir son trouble, et mon cœur s'emballe.

- C'est pas très facile, mais... je préfère t'en parler avant d'aller chez nous.

Une gorgée de chocolat. Un silence. Je plonge mes yeux dans ceux de Camille, et lui souris. Elle soupire.

- Marion... Tu sais que je partage l'appartement d'une collègue de travail, Julie.

- Oui, je sais.

- Eh bien... On ne partage pas seulement l'appartement... En réalité, on vit ensemble. Je fronce les sourcils. Je n'ai rien compris.

Camille soupire de plus belle.

- Bon... Julie, c'est... mon amoureuse. Voilà. (pages 69-70)

Marion n'est pas choquée mais plutôt déboussolée car elle croyait parfaitement connaître sa grande sœur.

Nous avons passé tant de temps ensemble... Je croyais que Camille n'avait pas de secrets pour moi, et c'est comme si, d'un seul coup, je me retrouvais devant une sœur que je ne connais pas et qui m'échappe un peu. Je finis par répondre :

- Non, ça me choque pas. Je suis surprise, c'est tout... (page 70)

Camille lui fait comprendre qu'elle ne pouvait pas rester au village car les habitants l'auraient rejetées :

Ils sont sympas quand tu leur ressembles, mais en réalité, ils ont peur de tout ce qui bouge. Parfois, ça frise le racisme ; si tu ne penses pas comme eux, c'est l'horreur. […]

- Pourquoi tu crois que j'ai quitté le village, Marion ? Pourquoi tu crois que je suis montée à Paris ? Hein ? […] il ne faut pas te voiler la face. Des cons, il y en a partout... Autant chez nous qu'ici, à Paris. La différence, c'est qu'ici, à Paris, personne ne t'empêche de vivre ce que tu veux, et comme tu veux. Il n'y a pas de commères qui vont tout raconter à leurs voisines. (page 81)

Marion retourne dans sa combe du Haut-Doubs plus ouverte au monde des sentiments. L'amour que sa sœur porte à Julie lui montre aussi le vide sur ce côté-là de sa vie.

(page 87)

Confrontée aussi aux sentiments de sa grand-mère qui se prépare à se remarier avec un homme veuf du village, Marion s'interroge sur ses rapports avec Clément, un jeune garçon du village :

Je ne dors pas. Je pense à Clément. L'année dernière, je suis sortie avec deux garçons. Pas longtemps. Et j'ai l'impression que cela n'avait rien à voir avec ce que j'éprouve maintenant pour Clément. Comme si j'avais vieilli de plusieurs années d'un coup. Ce que j'aime avec lui, c'est parler de la nature, skier, observer les oiseaux, les plantes, les animaux... Plus que tout. Mais en songeant à cela, je nous revois dans la pente, lui qui m'aide à me relever, et moi dans ses bras. Et ça me trouble terriblement. J'essaie de penser à autre chose, je soupire et me rends à l'évidence: je suis amoureuse, amoureuse jusqu'au plus profond de mon cœur. Et c'est un mélange de bonheur et d'inquiétude étrange. Est-ce que Clément dort à côté ? Est-ce qu'il regarde, lui aussi, le plafond dans le noir ? (page 104)

Cathy Ytak aborde avec talent (j'ai particulièrement aimé la façon discrète de l'auteur de me confronter aux sentiments des différents personnages), les thèmes qui devraient toucher de nombreux adolescents comme les premiers émois amoureux, les relations au sein de la famille (notamment quand Marion prend conscience du regard soupçonneux de sa mère par rapport à Clément), la ruralité et l'urbanité (pas de vision idyllique intemporelle ni universelle de l'une ou de l'autre), la normalité sociale (par exemple, y a-t-il un âge pour aimer ?), l'homosexualité.

Ce dernier thème (le lesbianisme), même s'il n'occupe pas une place centrale, n'en est pas, pour autant, anecdotique : il s'articule, finement et tendrement, aux autres problématiques abordées.

■ Rendez-vous sur le lac, Cathy Ytak, Editions J’ai Lu Jeunesse, 2003, ISBN : 2290333328 et Editions La cabane sur le chien, 2008,ISBN : 9782916468143


Lire la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com


Du même auteur : 50 minutes avec toi - Lluis Llach : la géographie du cœur - D'un trait de fusain

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Montherlant intime par Robert Amar

Publié le par Jean-Yves Alt

Mes relations avec Henry de Montherlant remontent très loin dans le temps ; elles eurent pour point de départ un article paru dans un journal littéraire qui critiquait très injustement ses Olympiques auquel répondit, avec toute son expérience, mon oncle, joueur international de football.

Deux ans après, en 1926, je publiai un livre sur l'amitié, ce sentiment qui devait séduire l'entendement des pères de la philosophie aussi bien que la sensibilité des poètes les plus récents. Il voulut bien lui donner une préface en ces termes : « Vais-je ajouter ma pensée sur l'amitié à celles qui composent ce volume ? Mais non il me suffira de rappeler que l'amitié est le thème de chacune de mes œuvres. Rappeler ? Hé, je crois bien que c'est votre démarche qui m'en fait prendre conscience pour la première fois.

« La Relève du matin, qu'en resterait-il si on en ôtait l'amitié de collège ? »

« Le Songe est, comme l'Iliade, l'histoire d'une amitié à travers les combats. »

« Les Olympiques sont, avant tout, le poème du sport vu à travers l'amitié de stade ; peut-être même, tout simplement – comme les coupes de Hiéron – le poème de l'amitié de stade. »

« Le chant funèbre, dédié "à mes chers camarades" est un long thrène sur la camaraderie de guerre. »

« J'envoie mon salut cordial à celui qui, comme Scipion l'Africain, génie de mon enfance, s'est consacré aux lettres et à l'amitié. »

C'est dans ses Carnets (1) qu'il se révèle, avec une totale franchise, beaucoup plus que dans ses romans et dans son théâtre. J'ai eu l'idée de réunir ici ses réflexions et ses jugements, sur quelques thèmes, épars en quelques centaines de pages, pour dessiner un portrait ; cela à la manière de ce jeu de patience fait de fragments découpés qu'il faut rassembler pour reconstituer une image qu'on appelle un puzzle.

« — Dans un journal suisse je vois cité comme un exemple de "vices d'animaux" le fait qu'un mouton dévore une cigarette ! Or tous les moutons mangent des cigarettes. Cela en dit long sur ce que le monde traite de vice. »

« — Le plus grand service qu'on puisse rendre à un être : lui apprendre de très bonne heure à savoir user de la vie. »

LE DÉSIR

« Une âme sans désirs, c'est un vaisseau démâté, jouet des flots jusqu'à ce qu'il sombre. »

« Chaque être beau qui passe, et qui n'est pas à nous, nous perce d'une nouvelle flèche. Un saint Sébastien percé de flèches. »

« Je ne puis me soutenir qu'avec un plaisir vif par journée ; faute de cela, je languis et m'étiole. »

« Il n'y a pour moi de journée humaine que celle où je caresse ou celle où j'écris. »

« Unum necessarium. Il est pour moi d'aimer et de créer. Les jouissances du cœur, ni celles des sens, non plus que celles de l'esprit, ne demandent beaucoup d'argent. »

« La possession charnelle me donne la plus forte idée qui me soit possible de ce qu'on appelle l'absolu. Je suis sûr de mon plaisir. Je suis sûr du plaisir de l'autre. Pas d'arrière-pensée, pas de questions, pas d'inquiétude, pas de remords. » « J'ai formé des œuvres et des êtres pour le plaisir, le leur autant que le mien. Je n'ai jamais formé rien d'autre. »

« Pendant huit ans, je n'ai vécu que pour le plaisir, la libération de tous les instincts. Ces saturnales de huit ans. A peine avais-je le temps de désirer. J'y ai sacrifié une partie de mon œuvre, mes intérêts, ma carrière, mes relations. Je ne saurais trop rappeler combien je crois qu'il n'y a de véritable et de raisonnable, au milieu de toutes les choses "sérieuses" que la jouissance dont nous avertissent directement les sens, sans l'intermédiaire de la raison. »

« Le sens du baiser est : vous êtes pour moi une nourriture. »

« Nous n'aimons pas les mains blanches, et molles, et veules ; mais que vienne quelqu'un que nous désirons et avons, et qui les ait telles, nous adorons ces mains blanches et molles et veules. »

« Ma famille, ce sont les personnes avec qui je couche. »

« Mohamed courait la course de vélos Alger-Miliana. Mais il était hypnotisé par les fesses ondulantes du jeune Français qui le précédait dans le peloton et il ne pouvait se résoudre à le dépasser. Le jeune coureur perdant toujours plus de terrain, Mohamed en perdait toujours plus derrière lui. Au moment du sprint final, débat cornélien en Mohamed ; eh bien non ! C'est plus fort que lui : à ce moment même, d'où dépend le sort de la course, rien à faire, il ne se détachera pas de la vision paradisiaque. Et il reste en queue de peloton. Si cette histoire, telle qu'elle me fut contée, est vraie, et elle l'est sûrement, elle a sa grandeur. Toute puissance de la passion sensuelle. Sa victoire sur les autres passions, l'esprit sportif, la vanité, l'intérêt, etc. »

« Besoin d'amour dans les beaux pays pour être d'accord avec le pays. »

« Que Dieu bénisse les corps qui m'ont donné tant de bonheur, et les âmes qui leur ont inspiré de me le donner ! »

LA MORT

« Les vieillards meurent parce qu'ils ne sont plus aimés. »

« Plus une vie est heureuse, plus il horrible de la quitter : c'est le paiement. »

« Mes deux forces essentielles : le goût du plaisir sexuel et le goût de la création littéraire. Le jour, où l'âge venu, ces deux forces me manqueront, que me restera-t-il ? Rien. Il me restera de mourir. »

« J'aime que le drap de notre suaire soit celui-même qui a contenu les plus exquises délices de notre vie. Etre enterré dans ce qui justifie pour nous la terre ! »

Arcadie n°318, Robert Amar (René-Louis Dubly), juin 1980


(1) 1930 à 1944, N.R.F., 1957

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