Un garçon comme une autre, Joël Breurec
Dans « A la limite des ténèbres », Françoise d'Eaubonne écrivait en 1983 :
« Ce qui m'attire toujours, c'est une totalité, même, dans ce qu'elle a de plus contradictoire. Alors, moi, je tiens l'homosexualité pour l'un des versants de la bisexualité, et la bisexualité pour l'un des versants innombrables d'une sexualité qui n'est finalement totale que chez l'enfant et que la société s'emploie à émonder comme on taille un arbre jusqu'à ce qu'il n'ait plus que le profil d'une potence, tout à fait significative. Il y a réduction. Si nous pouvons souhaiter une société où vivre demain, ce serait une société où nous serions un arbre avec tous ses rameaux et non ce profil de potence, qui commence à se dédoubler grâce au "laxisme" – comme disent nos ennemis – de la société actuelle. »
Le roman de Joël Breurec tente de nous montrer, à travers le personnage d'Ewen, cette sexualité totale. Ce qui, dans la littérature jeunesse, est extrêmement rare, pour ne pas porter ici une attention à cet ouvrage.
Les grandes vacances commencent pour Ewen, jeune garçon de 14 ans. Elles devaient ressembler à celles de l'année précédente : juillet à l'Ile-aux-Moines, avec sa mère divorcée et son meilleur copain, Théo, même âge que lui ; août chez son père, à Saint-Malo. Mais avant l'arrivée de Théo, Ewen fait la connaissance de Mathis, 13 ans, le petit-fils du gardien de la propriété familiale. Très vite, ils sympathisent. Et même bien plus, puisque depuis longtemps Ewen est attiré autant par les garçons que par les filles. Un soir, Mathis rejoint Ewen sans sa chambre. Les amis deviennent amants. Cette découverte se poursuit les jours suivants jusqu'à ce que la petite sœur de Mathis les surprenne.
Ewen, narrateur de son histoire, en ce début d'été, découvre qu'il est devenu un homme, que Théo – son meilleur copain – ne le laisse pas indifférent et qu'il a eu un coup de foudre pour un chanteur anglais, idole de sa sœur. Avec Théo, il rêve aussi de draguer les filles sur la plage. Ewen a ainsi la confirmation que les garçons l'attirent autant que les filles.
« Sur la grande plage, j'ai remarqué d'autres jolis spécimens, filles et garçons. Notamment un petit brun avec un slip bleu turquoise. Et une blonde aux courbes... d'enfer. » (p. 12)
« Wendy m'a demandé : Il n'est pas là, ton copain de l'année dernière ?
— Non, pas encore. Il arrive dans huit jours. Lui, c'est Mathis.
J'aurais pu ajouter : "Mon amoureux."
Le parfum de Wendy sentait la vanille. Comme ma glace préférée. Mais les filles à la vanille – et les autres –, je ne les avais pas encore goûtées. Ce serait peut-être pour cet été, puisque j'étais dans le temps des premières fois. Aimer les garçons et les filles, cela se peut.
Mathis, lui, m'avait dit : "Les filles, ça ne m'intéresse pas." » (p. 26)
Les trois garçons principaux de ce roman présentent des versants variés de la sexualité. Mathis se sent gay, Théo ressent peut-être une homosexualité de circonstance avec Ewen tout en se vivant hétéro, alors qu'Ewen se vit comme totalement bisexuel. Il peut aimer en même temps Mathis et Raphaëlle, une fille dont il a fait connaissance sur la plage.
Ewen utilise parfois un langage cru sans jamais être vulgaire. Il a aussi intégré des normes qu'il n'interroge pas encore ; comme le fait de ne pas accepter que la nouvelle petite amie de son père soit si jeune.
Ce qui est intéressant, c'est que le regard que porte Théo sur son « pote » Ewen ne change pas, une fois la bisexualité connue :
« Je ris, bien sûr. Et je suis surpris : c'est la première fois que Théo me serre contre lui. Mais avec lui, ce ne sera jamais comme avec Mathis. Théo m'aime bien, il n'est pas amoureux. Et je sais que les garçons ne l'attirent pas. » (p. 49)
Le père de Mathis entre dans une colère terrible quand il apprend la relation que son fils entretient avec Ewen :
« Les mots d'Yves m'ont blessé. "Petite salope", "pédale". Et il croit que c'est moi qui ai entraîné Mathis. Alors que nous avons été entraînés tous les deux par un courant d'or, un souffle de lumière que lui n'a jamais connu. » (p. 54)
Ewen est un personnage qui revendique une frénésie du plaisir.
Le monde d'Ewen est dominé par le rêve d'une communion entre les humains. Il tente de se soustraire à une société qui le refuse. C'est ce que le lecteur peut lui souhaiter de meilleur pour sa vie à venir.
« Un papillon volette devant la porte-fenêtre et se pose sur la vitre. Il bouge doucement ses ailes, et j'ai l'impression qu'il fait toc-toc en silence. C'est un paon-de-jour, qu'on appelle aussi une vanesse. Il et elle... Ne pars pas, je vais t'ouvrir ! Mathis, c'est un joli nom pour un papillon... » (p. 109)
■ Un garçon comme une autre, Joël Breurec, Editeur : Oskar jeunesse, 108 pages, novembre 2013, ISBN : 979-1021401525