Poèmes du fond de l'œil, Claude Michel Cluny
Poète lui-même, les recueils de Claude-Michel Cluny étaient l'occasion intime d'un retour profond à la source du langage, une terre des mots où le corps et l'intelligence retrouvent leur première légèreté qui n'est que notre appartenance à la fusion de l'homme et de l'univers.
Poèmes du fond de l'œil se divise en trois parties :
─ Les Ossolètes
« Les Ossolètes n'ont pas de ville pour les morts. Ils ignorent la beauté des stèles, des cippes... Leur monde est lisse, comme la peau du ciel, l'innocence, l'eau du temps qui passe... Ils vivent sans passé ni mémoire, et croient leur race neuve comme l'aurore. »
─ D'ici, les voit-on bien ?
De très beaux textes : Les Restreints, L'Ignoble, Le Refusé...
« Il laisse vide la main qu'à soi-même il se tend. Inutile, refusé. Refusé. »
─ D'autres planètes
« Pour eux, mous et laiteux, l'univers est tout en creux. Couloirs, puits, vagins, corridors qu'ils rongent, qu'ils forent. »
Le recueil se termine par une magnifique lettre d'Erasme au noble Thomas Grey. Écrite de Padoue, elle prend pour thème les songes. Mais pour qui sait qu'Erasme fut suspecté d'homosexualité (1), cette longue poésie est aussi lettre d'amour. Lettre en français vibrante de savoir, de sagesse et de subtiles déclarations :
« Tout d'abord, à quoi veux-tu jauger l'aune de tes rêves ? Sont-ils seulement délicieux ? Tu n'en dis rien, et me prives ainsi de cette autre part de toi où j'aimerais tant que ma félicité repose. Et voilà que je rêve à ton ombre ensoleillée, en changeant ainsi la pensée attique qui veut que ce que j'ai perdu embellisse ce qui me reste. »
■ Poèmes du fond de l'œil, de Claude Michel Cluny, Editions Gallimard, 112 pages, 1989, ISBN : 9782070716227
(1) « Il s'éprit si fortement que le mentor des jeunes gens, un lourd Écossais, s'opposa à grand bruit à leurs relations » (A. L. Rowse, « Les homosexuels célèbres, Albin Michel, 1980)
Du même auteur : Disparition d'Orphée de Girodet d'après Arman - L'été jaune