Pour un ministère de l’abolition de la famille par Marcela Iacub
La reconnaissance symbolique de familles monoparentale, recomposée ou homoparentale ne changera rien au réel malheur familial.
Au lieu de remplacer le singulier par le pluriel dans l’intitulé du ministère «des Familles», au lieu de ministère «de la Famille», François Hollande aurait pu profiter du dernier remaniement pour introduire des réformes sémantiques d’une plus grande ampleur. En effet, à quoi bon octroyer des reconnaissances symboliques aux familles homoparentales, monoparentales, recomposées, quand il y a tant de gens qui souffrent à cause du couple, de la filiation ou de la garde des enfants ?
En réalité, il ne faut pas voir de maladresse dans cette manière de faire. C’est à bon escient que les politiques préfèrent s’occuper de reconnaissances symboliques plutôt que de réalités douloureuses. Car ces dernières disparaissent des esprits quand on s’occupe des premières. Plus que cela. On fait croire que les familles majoritaires sont tellement heureuses que celles qui se trouvent aux marges devraient connaître le même sort. Plus qu’heureuses. On cherche à nous convaincre que c’est la seule manière digne et humaine de vivre en couple et de socialiser les enfants.
Or, il suffit d’observer comment vit cette immense majorité pour comprendre l’urgence : il faut absolument intervenir pour sauver les enfants, les femmes ainsi que les hommes de cette institution mortifère.
Près de 160 000 enfants par an vivent le divorce de leurs parents, ce qui implique pour une grande partie d’entre eux de ne plus voir leur père. Mais, avant ou après ce divorce, un nombre encore trop important d’enfants meurent sous les coups de leurs parents ou de leurs beaux-parents ou subissent des violences de toute nature.
Quant aux autres, ceux qui ont la «chance» de grandir dans des familles normales, ils sont l’objet de passions parentales qui les culpabilisent, les aliènent et les empêchent de devenir des êtres autonomes et épanouis. Et que dire du triste sort des femmes lorsqu’elles accomplissent le rêve majoritaire, celui de devenir mères ? On sait que, même lorsqu’elles sont plus diplômées que les hommes, la venue au monde des enfants les met dans des situations de dépendance au regard de leurs compagnons et dégrade leur vie professionnelle. Parmi celles qui sont en couple, 19 % sont inactives et 31 % ont un emploi à temps partiel. Cette dépendance les empêche souvent de se séparer de leur conjoint, y compris lorsqu’elles sont objets de violences.
Et que dire de la misère de celles qui se trouvent à la tête d’une famille monoparentale, dans la précarité économique et la solitude affective ? Cette triste comptabilité ne doit pas oublier les milliers d’hommes séparés du jour au lendemain de leurs enfants, traités comme des salauds et accusés parfois à tort de crimes envers leurs compagnes.
Ce paysage familial est tellement catastrophique que l’on se demande si ce n’est pas un dieu vengeur qui l’a conçu pour punir l’humanité de ses innombrables fautes. Le fait de critiquer ces nouvelles formes familiales est immédiatement taxé de réactionnaire, et ce à tel point que les seuls pourfendeurs sont les catholiques intégristes qui voudraient rétablir la famille des années 50, abolir l’avortement, la contraception, empêcher les femmes de travailler et envoyer les homosexuels en cure psychiatrique. C’est pourquoi n’importe quel politique qui aurait un peu de courage devrait proposer la création d’un ministère pour l’abolition de la famille. Et convoquer aussitôt des assemblées citoyennes pour imaginer des alternatives à la situation actuelle.
Autrement, le nombre de solitaires ne cessera d’augmenter, comme c’est le cas depuis plusieurs années. Nos idéaux d’autonomie, de liberté et d’égalité prendront le pas sur l’esclavage et le malheur des réalités familiales. De moins en moins de monde osera s’y aventurer. Ce jour-là, il ne sera plus question d’un ministère de la famille, au singulier ou au pluriel, mais d’un ministère de la solitude. De toutes les solitudes.
Libération, Marcela Iacub, samedi 12 mars 2016