Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le sel, Jocelyne François

Publié le par Jean-Yves Alt

Dans ce superbe petit livre où chaque mot déploie l'infini d'une méditation, Jocelyne François confie avec une liberté totale et pudique la solitude d'un être quand il est confronté à la douleur souveraine du corps, à la dictature de la survie et risque d'abandonner le désir d'amour, englouti dans l'expérience intransmissible de la souffrance physique.

L'auteure descend au plus profond de l'humain. Gravement malade, dans l'incapacité de se mouvoir pendant des mois, elle qui aurait eu toutes les raisons de s'enfermer dans la récupération égoïste de son corps, ouvre grands les yeux sur les autres, s'étonne, éblouie du mouvement, se nourrit de l'amie aimée :

« Dès l'aurore, ta voix. Clarté entière dans nos paroles, tout le brouillard d'hier a disparu. »

L'ultime allégresse du don alors que « tout ce qui est encore sensible dans mon corps me fait souffrir, sauf mon visage ».

Le sel, Jocelyne François

Sans le moindre mot superflu, sans la moindre complaisance, poésie ciselée jusqu'au nerf, le texte de Jocelyne François atteint une pureté mystique.

Quand le corps, jadis victorieux, se débine et laisse, pantelant et affamé, il reste à se pénétrer du chapitre six (« Je regarde marcher les inconnus ») où il est dit si simplement, si magistralement, les grandeurs de la sexualité quand elle est amour, élan fou vers l'autre.

« Le mot amour est, comme chacun sait, trop général dans notre langue, J'écris ici à propos de l'amour sexuel, celui qui est un arrachement de l'être entier, esprit et corps. J'écris sur cette expérience irréfutable qui ne s'incline devant rien, qui sait où elle va. Je ne pouvais deviner que cet état s'emparerait de ma vie très tôt et que je ne m'en déprendrais jamais. Vite j'ai su qu'à partir de cette métamorphose on peut tout comprendre non par un accroissement du savoir mais par une force agrandie de ressentir les moindres vibrations qui relient les autres à leur propre vie. Il y a d'infinies façons de vivre cet amour sexuel et il ne s'agit jamais d'un choix qu'une décision intime précéderait. Non, on est empoigné, emporté et pour toujours on se trouve dans le camp de ceux qui parient pour l'amour ressenti comme la première des valeurs. L'existence apporte les circonstances qui prouvent qu'on est là, de ce côté, et pas de l'autre. Il n'y a donc pas de confusion possible. Le déroulement du temps, son imperceptible et subtile emprise, n'altèrent pas cette ardeur qui structure les jours. C'est à cette lumière que s'évaluent les événements, qu'ils se hiérarchisent presque d'eux-mêmes et que la saveur (ce qu'on appelle le goût de la vie, "Il a perdu ou il a retrouvé le goût de la vie") règne en maîtresse sur les choses les plus simples comme sur les moments les plus intenses. Si la perte survient, la mémoire torture parce qu'elle ne peut se résigner à la disparition de cette saveur qui n'est comparable qu'au sel sans lequel toute nourriture est sans corps. »

Certes, « il ne faut pas croire que le discours sur la sexualité soit sans fin. Aujourd'hui, il est fini, il est épuisé ». Mais il reste la vie, l'écriture, le ciel, l'amour, « le sel de la terre » qui est aussi notre meilleure soif.

■ Le sel, Jocelyne François, Mercure de France, 128 pages, 1992, ISBN : 978-2715217553

Quatrième de couverture : « La souffrance qui peut nous envahir devant l'état du monde vient de l'amour que nous avons pour lui, vient de l'intuition du fourmillement des détails défaillants. C'est un sentiment qui se développe avec le cours de la vie. Progressivement un souci nous escorte qui ne nous lâchera plus. Quelque chose en nous cherche le sel et le sel ne s'est jamais obtenu autrement que par concentration. C'est une réalité chimique, et c'est aussi une image mentale. Le goût du sel et le sens se ressemblent. La vie sans sel, comme la nourriture, n'est pas mangeable et il n'y a aucune raison d'accepter de la manger. »

Le Sel est un texte qui a été gagné sur les heures de douleur physique. Jamais je n'ai écrit si lentement et pourtant avec un tel désir. Ecrire et marcher à nouveau étaient liés dans la même lutte. C'est dire à quel point ce texte, bien que publié, reste avec moi et me ment eu aide. J. F.


Du même auteur : Histoire de Volubilis - Le cahier vert/ Journal 1961-1989

Commenter cet article