Par tous les temps, Colette Fayard
L'art peut-il influer sur le cours de l'Histoire ? Responsables du Centre d'études temporelles de Zanzibar en cette année 2891, John Ase et le docteur Dijan s'interrogent... Les scientifiques, étroitement surveillés, maîtrisent le voyage dans le temps mais l'avenir reste inaccessible et le passé interdit à leurs manipulations hasardeuses.
Pourtant, Ase est sûr de son fait : réconcilier art et révolution, c'est modifier l'équilibre social de la fin du troisième millénaire. Il décide donc de peser sur la destinée d'une grande figure du passé. Après un premier échec, il fixe son choix sur Arthur Rimbaud.
Colette Fayard s'empare du mythe de ce poète. En s'appuyant sur une parfaite connaissance de l'œuvre et de la biographie, elle offre une relecture personnelle de la genèse des poèmes et de la fuite africaine du jeune créateur devenu stérile (par impuissance ? par choix délibéré ?).
En s'appuyant sur les repères historiques et en comblant de fiction les trous dans la documentation, en insérant au sein du récit de brèves scènes historiques (le bombardement de Charleville-Mézières pendant la guerre de 1870, la révolte des Mahdis au Soudan, Mai 68), L'auteure construit un univers où la figure de Rimbaud investit peu à peu tout l'espace romanesque.
Colette Fayard construit son roman autour de figures d'hommes. Il n'y a presque pas de femmes : réduites à des souvenirs ou à des silhouettes, à deux exceptions près : la mère castratrice, à l'étroitesse d'esprit petite-bourgeoise, qui provoque la révolte d'Arthur et son désir de fuite vers l'espace intérieur ou les horizons lointains et Fulgence, l'amie tendre que Rimbaud partage avec Stefano, son amant : « Eux trois. Sans jalousie, sans rien de petit. »
La parenthèse refermée, Arthur retourne à ses amours masculines. Car l'amour des hommes irrigue « Par tous les temps », qu'il s'agisse de Rimbaud, des personnages principaux ou de nombre de personnages secondaires (passe ainsi Pierre Loti...) : John Ase « est tellement amoureux de son corps qu'il aime l'accoupler, non exclusivement mais de préférence, à celui d'un autre homme ».
Le roman s'ouvre d'ailleurs sur une scène où Ase tente d'influencer le révolutionnaire Saint-Just. Mais le désir amène le voyageur temporel à oublier sa mission pour suivre le beau jeune homme et de l'étreindre, scène sensuelle où l'auteure célèbre sans ambiguïté le coït homosexuel :
« John Ase, en sentant venir le plaisir de son compagnon, s'est soulevé sur l'avant-bras et se masturbe pour qu'ils jouissent en même temps. »
Le roman, comme la vie du poète, s'achève par un retour en France. Car on revient toujours sur les lieux où l'on a vécu... même si c'est pour y mourir.
■ Par tous les temps de Colette Fayard, Editions Denoël/Présence du Futur, 336 pages, 1996, ISBN : 978-2207505854