George, Alex Gino (2017)
Y a-t-il sujet plus tabou que ces hommes qui se désirent femmes ? Sujet encombré d'ailleurs de fausses directions comme l'homosexualité masculine qui n'a rien à voir avec ce questionnement ou le travestissement qui appartient à un tout autre domaine, aussi passionnant soit-il !
Pourquoi la plupart des gens ont un avis très tranché sur ce que doit être un homme ou une femme ? Cela même dans les pays où chacun dispose d'une grande liberté de penser. Pourquoi les enjeux, qui se « cachent » derrière ces identités, sont si peu revendiqués ? Pourquoi le dépassement du modèle binaire fait-il si peur ? Pourquoi ne prend-on pas conscience plus souvent qu'être une femme ou un homme n'a pas le même sens, suivant les époques et les lieux ? Pourquoi gomme-t-on encore trop souvent l'existence sociale du corps ?
C'est sans doute parce que la plupart des gens sont convaincus que les différences sexuelles, les fonctions sexuelles, etc. sont régis par la nature. Ou parce qu'ils préfèrent ignorer ces interrogations.
Qui est George ? C'est un garçon de 9 ans dont sa mère est très fière. Il entretient de très bonnes relations avec son grand frère Scott qui pense que George est homosexuel. Pour Scott, cela ne poserait aucun problème puisque son meilleur ami est lui-même homosexuel. George est aussi le « meilleur ami » de sa camarade de classe Kelly. Personne autour de George ne voit qui « ELLE » est vraiment. Car le point central de ce roman est que George est convaincu d'être une fille dans un corps de garçon.
L'excellente idée d'Alex Gino se situe dans la manière de narrer cette histoire. Le narrateur est omniscient : il sait tout et il livre aux lecteurs le moindre détail. En explorant toutes les facettes de George, le narrateur permet aux lecteurs d'envisager une vie pour ce personnage. A cela s'ajoute que le narrateur désigne George par le pronom « ELLE ». Cette reprise anaphorique place le lecteur expérimenté dans un rapport de connivence avec le narrateur. Il n'est pas sûr qu'un lecteur de 9 - 11 ans (âge pour lequel l'éditeur L'Ecole des Loisirs cible son lectorat) ait l'expertise pour comprendre immédiatement cette reprise anaphorique. C'est pourquoi, il serait bienvenu que ce roman puisse être lu dans les classes de fin d'école élémentaire et dans les premières années du collège. Quand l'institutrice propose de jouer une pièce de théâtre tirée d'un roman jeunesse de E. B. White : « Charlotte's Web », George veut absolument interpréter le personnage de l'araignée Charlotte. Obtenir ce rôle sera l'enjeu crucial de George.
Kelly, l'amie de George, parle dans ce roman d'un traitement permettant de bloquer la puberté :
« Un garçon pouvait devenir une fille. Par la suite, elle avait lu sur Internet qu'on pouvait prendre des hormones féminines qui changeaient le corps, puis passer par diverses opérations chirurgicales si on le souhaitait et si on en avait les moyens financiers. Cela s'appelait transsexualité. On pouvait même commencer avant l'âge de dix-huit ans par des comprimés dits antiandrogènes qui empêchaient les hormones masculines présentes chez les garçons de transformer leur corps en celui d'un homme. Mais, pour cela, il fallait une autorisation parentale. » (pp. 48-49)
Cette médication pose autant de questions qu'elle procure de solutions qui peuvent apparaître comme satisfaisantes : certes, elle donne du temps aux jeunes concernés pour réfléchir s'ils veulent ou non transformer leur corps ; on sait qu'à un moment donné, la perspective de développer les caractères sexuels secondaires peut devenir insoutenable [George se pose aussi cette problématique : « un jour, la testostérone ferait pousser d'affreux poils de barbes sur ses joues » (p. 115)]. Le traitement permet au final que les personnes extérieures ne voient rien de la réalité de la personne « trans ». Cette dernière aura l'air d'être né homme ou femme. Mais cela ne revient-il pas à discréditer la vie et le corps des personnes « trans » ?
Aujourd'hui, à l'échelle du monde, les personnes qui subissent le plus de discriminations sont les femmes, incluant les femmes transsexuelles. Elles sont victimes de plein fouet de la violence, de la pauvreté sans parler d'un déficit d'alphabétisation. C'est un défi que le XXIe siècle doit affronter.
« George », court roman, peut permettre aux pré-adolescents de réfléchir au moyen d'entrer en résonance et connivence avec les personnes marginalisées du fait de leur transsexualité.
Le questionnement de l'homosexualité, dans les récits pour les jeunes, est maintenant plutôt bien admis. On peut se réjouir aujourd'hui que la thématique transsexuelle soit proposée dans les fictions pour la jeunesse.
« George » est pour tous ceux qui ne cessent d'espérer leur vraie vie, un livre optimiste.
■ George d'Alex Gino, traduction de Jean-François Kerline, Editions L'Ecole des Loisirs, 176 pages, février 2017, ISBN : 978-2211227452
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