Mémoires du bout du monde, Alain Absire (nouvelles)
Un des frayeurs de l'homme est l'autre dans sa différence. Affronter la réalité de ceux qui vivent ailleurs et différemment est souvent difficile. Si chacun connaît sa douleur, celle des autres – non seulement échappe à notre connaissance – peut devenir vite dangereuse.
C'est cette instabilité et cette panique que les « Mémoires du bout du monde » mettent en écriture : dix nouvelles « étrangères », apparentes relations de voyage mais cruelles radiographies d'une réalité insoutenable.
Alain Absire, avec la rigueur pudique du chroniqueur, plonge le lecteur dans une vérité romanesque plus terrible que la vie et pourtant, elle reste en deçà du vrai.
Alain Absire promène le lecteur dans le monde d'aujourd'hui et d'hier, dans la mesure où le temps n'est ici qu'un moyen supplémentaire d'accuser la similitude des peuples et des êtres asservis. Les personnages qu'il met en scène atteignent le point de non-retour. Soit qu'ils ne peuvent plus pactiser avec l'idéal, soit que de l'amour ils n'interrogent plus que les trappes, soit que – subtil retournement de situation – le touriste est transformé et « perdu » par la peur qui l'habite.
Car au-delà de récits, de quelle évidence s'agit-il ? De l'impossibilité d'amour, de l'incapacité à imaginer l'autre en dehors de son propre désir ou de sa propre quête. Là se trouve la qualité des nouvelles d'Alain Absire : derrière la simplicité des histoires centrées chacune autour d'un personnage témoin de son pays ou de son temps, l'auteur réussit à mettre en lumière nos angoisses personnelles.
Les enfants se racontent de monstrueuses légendes d'enlèvement et de mort quand ils craignent qu'on les arrache à ceux qu'ils aiment : Alain Absire fait la même chose avec ses nouvelles. Il a écrit des légendes pour adultes qui osent le même apaisement. En décrivant l'errance, la pauvreté, la solitude, l'intolérable soumission des uns aux autres, en soulignant l'infirmité d'un monde où les faibles dépendent des forts et espèrent changer de rôle, il calme momentanément la peur de chacun de vaciller dans la partie noire de la vie.
Alain Absire met à nu la menace, le mal qui rôde, toujours prêt à renaître n'importe où, même s'il est cantonné « ailleurs ». De cette façon, il renforce la capacité humaine à croire, à espérer, à attendre. Des nouvelles qui consolent.
■ Mémoires du bout du monde, Alain Absire, Editions Presses de la Renaissance, 135 pages, 1989, ISBN : 978-2856165027
Du même auteur : L'égal de Dieu - L'éveil [Nouvelles] - Vasile Evànescu, l'homme à la tête d'oiseau - Lazare ou le grand sommeil