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Clarisse, de Cecil Saint-Laurent

Publié le par Jean-Yves Alt

Dans l'univers romanesque, le caractère des personnages s'est longtemps défini en termes sexués. D'un côté se trouvaient ceux qui dominaient l'action, qui l'infléchissaient à leur guise et dont le comportement était qualifié de viril. Les autres restaient des bouchons de liège ballotés par l'océan déchaîné. Leur soumission, leur impuissance à se fixer une conduite étaient alors souvent associés au caractère féminin : personnages qui agissaient avec incohérence, ou se laissaient déborder.

Il en va autrement, dans le roman de Cecil Saint-Laurent, « Clarisse », du personnage de Maroussia. Cette jeune femme, qui vécut réellement, avait pillé la Russie d'octobre 1917 dans un train peuplé de soudards. Au contact de la jeune Clarisse, l'héroïne fait preuve d'une homosexualité dévorante, affirmant par là-même un instinct de domination comparable à celui de Léopoldine d'Arpajac.

Le thème reste pourtant simpliste : dans le monde hétérosexiste du roman de guerre, l'homosexualité ne présentait que peu de caractère spécifique. Elle ne s'exprimait que par un transfert de comportement d'un sexe dans l'autre.

Clarisse, de Cecil Saint-Laurent

Le chapitre VI de « Clarisse » (intitulé « Le train pirate ») prend une valeur quasi-symbolique, puisque Maroussia y procède elle-même à la défloration de la jeune fille, acte viril par excellence, à l'aide d'un godemiché.

— Ce n'est pas vrai ! Tu es encore vierge ?

Clarisse acquiesça et Maroussia jeta un cri de bonheur, qui était presque un hurlement.

« Tu es vierge, reprit-elle en recouvrant un calme relatif, mais tu ne le resteras pas longtemps. »

Elle se leva, s'agenouilla sur sa propre couchette pour ouvrir un placard, en tira un coffre qui était d'ébène comme celui des cigares, l'ouvrit et montra à son amie un objet dont celle-ci ne comprit pas d'emblée le sens.

« Il est d'un bois très tendre et très doux. En Orient, on en fait même certains qui sont d'or ou d'ivoire, mais je les trouve trop froids et, ajouta-t-elle en souriant, trop durs quand même. Tu n'as pas compris ? »

Au bout d'un instant, Clarisse admit qu'elle avait compris, mais elle demanda :

« Et la ceinture ?

— Je vais la serrer autour de ma taille. »

Elle gagna l'extrémité de la cabine, se détourna. Clarisse, qui était de nouveau dominée par la certitude qu'elle n'oublierait jamais les moments qu'elle vivait, regardait. Elle vit Maroussia baisser la culotte de cheval jusqu'au sommet de ses cuisses et admira les fesses étroites et serrées. La ceinture claqua en se fermant, les lanières se tendirent, et Maroussia se retourna ; et sans se dévêtir davantage, armée d'un phallus dont Clarisse n'aurait jamais soupçonné que l'imagination humaine, pourtant fertile en artifices, fût capable de l'inventer, s'élança vers la couchette. Clarisse s'était ouverte complètement. Elle jeta un cri qui ne suspendit pas le martèlement dont elle était la proie. Entre deux baisers, Maroussia, triomphalement, chuchota :

« Chérie de mon cœur adorée, petit pigeon, je t'ai faite femme. »

Le temps ne comptait plus. La nuit s'éternisa. Il y eut plusieurs pauses ; elles fumèrent et burent quelques gouttes d'une vodka tiède.

Il reste que cette dérive de la virilité demeure conformiste, puisqu'elle agit finalement par projection d'éléments conventionnels, les plus facilement identifiables.

La chemise retenue par les mains de Clarisse fut arrachée après une courte lutte. Puis, d'un geste, Maroussia se dépouilla de sa blouse. Elle avait toujours de petits seins étroits sous des épaules larges. Elle se laissa tomber sur sa compagne et l'étreignit. Elles s'embrassèrent longuement. Clarisse se demandait si elle aussi, à la pension, n'avait pas rêvé d'être étreinte par Maroussia. Ses seins tendres et volumineux étaient écrasés sous le torse nerveux de sa terrible maîtresse. Pourtant Clarisse ressentait un manque. Les nuits qu'elle avait passées avec William lui avaient appris les pouvoirs agressifs d'un corps d'homme et elle se demandait si l'émoi qu'elle ressentait n'allait pas retomber faute d'être nourri par une action plus vigoureuse. Elle donnait sa bouche, elle offrait son ventre aux caresses de Maroussia, mais son plaisir était altéré par la crainte qu'il ne fût pas assouvi. Elle était heureuse d'être entre les bras d'une femme, il lui semblait qu'obscurément elle avait toujours attendu ce moment mais, par une contradiction qu'elle ne s'expliquait pas, elle agitait le vœu impossible de prêter à cette femme les ressources d'un garçon. Elle fut à la fois déçue et soulagée quand Maroussia se redressa. Elle alluma une cigarette, la posa entre les lèvres de Clarisse puis continua de la fumer.

■ Clarisse, de Cecil Saint-Laurent, Editions Grasset, 403 pages, 1980, ISBN : 978-2246009146

Présentation : Au lendemain de la révolution d'Octobre, la jeune et belle Clarisse est plongée dans les tourmentes d'un pays en proie à la guerre civile. Eprise de deux hommes, le fringant Britannique William Swift, espion à ses heures, et le ténébreux Nicolas Tevassov, officier du tsar, devenu socialiste révolutionnaire, la jeune femme vit une série d'aventures étourdissantes qui la conduisent aux quatre coins de le Russie en feu... avant de la ramener en France où l'attend un destin surprenant.

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