Plutôt deux fois qu'une, Pascal Lainé
Dans ce roman, Pascal Lainé offre une histoire policière en huis clos. Une pension de famille en bordure de Seine est le théâtre d'une pièce où une baignoire, un sèche-cheveux, une statuette pré-colombienne et le corps sans vie d'un antiquaire mystérieux, le docteur Roger Linz (rayé de l'ordre des médecins), tiennent les premiers rôles.
Ensuite, par ordre d'apparition en scène, la propriétaire de ce lieu (Suzy Point, femme généreuse sur le retour d'âge), sa fille Cécile, une ancienne gloire de l'écran Lola Poor, une voisine bavarde Adèle Kuque accompagnée d'un mari infirme, la servante Juliette, un couple de garçons américains David Weins et son petit ami Daniel Mazurski, un policier cinéphile l'inspecteur Robert Lester, sans oublier Pupuce la chatte de cette étrange souricière où chacun joue son rôle à la perfection dans un crime presque parfait.
— Linz a été tué dans une baignoire, et cela nous assure au moins une chose : la présence du meurtrier dans la salle de bains, au milieu de la nuit, n'était pas de nature à surprendre ou à inquiéter sa victime.
— Vous voulez dire que l'assassin habite la pension ?
— C'est plus que probable : Mme Point a vu Linz rentrer, cette nuit, et elle m'a certifié qu'il était seul.
— Elle n'avait aucun intérêt à mentir sur ce point, fit Lucas.
— Seulement voilà ! constata Lester : la seule personne, ici, qui avoue des relations, disons de salle de bains, avec Linz, c'est Juliette.
— Elle ne vous plaît pas, patron ? fit Ravier.
— Je ne la vois pas en tueuse. J'aimerais mieux Mme Point, à tout prendre.
— Reste Lola Poor, suggéra Lucas.
— Elle vit sur une autre planète, celle-là, ou alors elle cache bien son jeu.
— Si notre Linz était homosexuel, risqua Lucas j'aurais bien une hypothèse...
— J'y pense depuis un moment, sourit Lester. Ce David Weins est un malin ! Beaucoup trop malin pour éventrer un matelas et s'enfuir sans demander son reste. Beaucoup trop malin pour ne pas imaginer que la police ignorera longtemps la raison de sa présence aux « Glycines ». Une raison qu'il avoue d'ailleurs avec infiniment de bonne grâce ! « Mais oui, monsieur le policier : je suis venu ici pour tuer le Dr Linz. Seulement j'ai raté mon coup ! »
— Ainsi, raisonna Lucas, David Weins aurait bel et bien assassiné Linz dans la salle de bains. Puis il aurait simulé une agression manquée dans la chambre.
Le jeune policier réfléchit un instant : cette hypothèse lui plaisait, mais sans le convaincre tout à fait. En admettant que Linz fût homosexuel, il l'imaginait mal en train de séduire un David Weins, et celui-ci ne lui semblait guère enclin à jouer le rôle du « mignon » dans une baignoire.
L'inspecteur Lester s'était fait la même objection :
— David n'a certainement pas tué le Dr Linz, raisonna-t-il. Du moins, pas de ses propres mains. Réfléchissez un peu, Lucas ! Cet intelligent jeune homme s'installe aux « Glycines » voici trois semaines avec son petit ami Daniel. A mon avis, ce dernier n'est pas venu seulement pour le plaisir. Il a pour mission de séduire notre bon docteur. Après quelques jours, Daniel et Linz en sont à se frotter mutuellement le dos dans la baignoire. Il ne reste plus qu'à choisir le moment favorable. La nuit de la Saint-Sylvestre convient très bien. Tout le monde a un peu trop bu et dormira profondément. Linz s'en va pour Roissy, et annonce qu'il ne rentrera pas avant le lendemain matin. Mais Daniel l'attend près de la porte, et lui fait promettre de revenir pour passer avec lui la fin de la nuit : on peut d'ailleurs imaginer que le fameux client étranger qui vient de téléphoner n'était autre que David, appelant d'une cabine voisine et déguisant sa voix. Rappelez-vous ! David et Daniel sont montés se coucher très tôt, prétextant une indisposition. Ils sont censés ignorer le départ de Linz, chacun pourra en témoigner, et cela n'est pas sans importance, car la thèse de l'assassinat manqué dans la chambre devient alors plausible. Linz, bien entendu, ne trouve pas son client au rendez-vous, et revient furieux. Daniel lui propose de prendre un bain, et lui offre sans doute quelques menus plaisirs aquatiques, pour le détendre... Et il le détend… définitivement !
— C'est bien joli, tout ça, fit Ravier. Mais il faudrait savoir si Linz était homosexuel. (pp. 90-92)
Un adjoint de l'inspecteur Lester, Lucas, rencontre un ancien réalisateur de cinéma, Georges Lara, qui avait dirigé un film avec Lola Poor :
« Le réalisateur fit un clin d'œil à Lucas, et lui tapota le genou. Cécile faillit pouffer de rire. Le jeune inspecteur s'était recroquevillé sur lui-même, prêt à assommer d'un coup de poing cette vieille tante qui se dopait à la cocaïne. Il fit effort pour se calmer, et demanda la permission de téléphoner. […] Le réalisateur tendit au policier une sorte de phallus de métal doré : Cécile éclata franchement de rire en voyant son partenaire approcher avec répugnance cet objet de son oreille. » (p. 132)
Lucas apprend ainsi que Lola Poor et Linz étaient amants, trente ans auparavant :
— Comme si les garçons ne suffisaient pas, commenta le réalisateur. Pourtant il avait tous ceux qu'il voulait ! […]
— Vous avez dit que Linz avait des aventures masculines ? demanda-t-elle [Cécile] à voix basse.
— Tout le monde en a, au moins dans sa tête, affirma le réalisateur. (p. 133)
L'inspecteur Lester découvre progressivement que tous les habitants de la pension de famille tirent un intérêt de la mort de monsieur Linz.
Un cadavre peut-il avoir plusieurs meurtriers ? car Linz est mort trois fois, électrocuté, noyé et empoisonné.
■ Plutôt deux fois qu'une, Pascal Lainé, Mercure de France, 185 pages, 1985, ISBN : 978-2715213692
Présentation : "Les Glycines" : une pension de famille tranquille, avec un beau jardin au bord de la Seine. Une demi-douzaine de clients, les mêmes depuis vingt ans, y coulent des jours paisibles. Pourquoi fallait-il que M. Linz, cet homme si convenable, se fasse assassiner dans sa baignoire ? L'inspecteur principal adjoint Robert Lester va mener l'enquête, et rondement. En quelques heures, il découvrira que la façade toute blanche de la pension "Les Glycines" cachait plus d'un mystère, et peut-être plus d'un cadavre. Pascal Lainé conduit avec maîtrise et humour une intrigue ingénieuse dotée d'une mécanique parfaite. Gageons que la grande Agatha Christie aurait apprécié la sagacité de l'inspecteur Lester qui n'est autre que le neveu de... Miss Marple !