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Le pas si lent de l'amour, Hector Bianciotti

Publié le par Jean-Yves Alt

Hector Bianciotti (1930-2012) est né en Argentine de parents italiens chassés par la misère, fourmi anonyme dans cette cohorte d'émigrants, qui, où qu'ils aillent semblent condamnés à vivre englués dans cette éternelle même misère qui a la même couleur et odeur partout.

Lorsque pieds nus, enfant, il allait au bout de la fosse à purin de la cour et il voyait le ciel et la terre se joindre : il était sûr alors qu'il y avait de l'autre côté une vie, la vie, la vraie, où il irait un jour.

Il commença comme tous les jeunes pauvres par le séminaire. Puis, à Buenos Aires, ce fut la découverte du monde du théâtre, et son homosexualité qui lui permit sans doute déjà en Argentine et à cette époque de côtoyer des gens de toutes conditions « que la chair apeurées fait se rejoindre ». Puissants, célébrissimes ou pas, mêler à de « petites gens » qui poursuivent la même drague.

Lorsque « Le Pas si lent de l'amour » commence, Hector Bianciotti a 25 ans, il quitte Buenos-Aires pour toujours. Il sait que sa vie sera en Europe, ou qu'il y mourra, et c'est ce qui a failli lui arriver. Il y est pratiquement mort de faim. Ces mots sont à prendre dans le sens premier. Il a obtenu de nombreuses distinctions, prix, etc., mais rien de ces faveurs ne le réchauffa assez. À coups de mots il extirpe sa descente aux enfers qu'a été sa vie en Italie, en Espagne puis en France. Jeune gigolo sans relation (presque) qui très vite porte le col de son veston relevé pour cacher le noir de la chemise (geste qui ne trompe pas, geste de pudeur, geste d'orgueil vital).

Le pas si lent de l'amour, Hector Bianciotti

Le courage qu'il lui aura fallu pour écrire ce texte bouleversant est inouï, car les écrivains sont de fabuleux menteurs et il n'est pas très difficile d'approcher les réalités en les maquillant un peu. Mais les dire, les écrire comme ici…

Ce voyage initiatique, ce chemin de croix que sont ses errances en Italie où il manque de se faire assassiner sur le bout de la marche de l'escalier qui lui sert de lit pour finir promeneur de chats ou ami-esclave-valet pour vieille dame « originale » qui n'a peut-être pas une vraie bonté (mais qui le nourrit, elle, avant que son fils ne le chasse un fusil au creux du dos) pour finir baby-sitter de chats pour dame richissime en laquelle il n'est pas difficile d'identifier la peintre Leonor Fini (1908-1996).

Cette autobiographie écrite en français possède un humour qui permet de « gommer » ce que la vérité a d'intolérable et de provocant ; cette autobiographie où le monde du théâtre sous Franco est décrite de l'intérieur ; cette autobiographie avec ces jeunes gens homosexuels habiles à coller des coquillages sur des éventails pour survivre ou à accepter une passe avec un brave bourgeois père de famille qui paie en colis de victuailles, car il est délicat ; cette autobiographie est une sorte de roman.

Authentique et douloureuse autobiographie et en même temps roman plein de miracles et de drôleries.

■ Le pas si lent de l'amour, Hector Bianciotti, Éditions Grasset, 331 pages, 1995, ISBN : 9782246442813


Du même auteur : Ce que la nuit raconte au jour - L'amour n'est pas aimé

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