Les contre-feux de l'amour, Algernon-Charles Swinburne (1877)
Un roman victorien construit à partir de lettres et publié en 1877, un auteur qui se promène dans les limbes de la mémoire, voilà la réalité de ce splendide et terrible récit et de son auteur. Swinburne, exact contemporain de la Reine Victoria (né en 1837, il meurt en 1909) fait partie de cette fine équipe d'écrivains britanniques « maudits », dont la situation personnelle et l'œuvre restent chuchotées ou travesties encore aujourd'hui : Brontë, Oscar Wilde, C. S. Lewis, Edward Morgan Forster...
En ces temps de conformismes et de dignité bourgeoise, Swinburne, d'origine patricienne, fait figure d'enfant terrible à qui l'on pardonne tout avec un sourire crispé. Ses écrits, surtout ses vers (Poèmes choisis, José Corti Editions, 170 pages, 2017, ISBN : 9782714311849), exsudent la sexualité rebelle, le fouet, la flagellation, le sadomasochisme et les désirs ténébreux.
Très célèbre de son vivant (« Les contre-feux de l'amour » est pourtant le seul roman publié avant sa mort) il a fasciné Maupassant, Huysmans et Jean Lorrain.
Une vieille dame, Lady Midhurst, veille du haut de son expérience à la respectabilité de ses domaines et de sa famille. Le Nom est son honneur avant tout. Or, de ci, de là, neveux, nièces, petits-enfants échangent confidences émues et révélations angoissées. Il faut réagir.
Le Nom.
Alors, avec un machiavélisme superbe, passant du chantage à la dénonciation, de la calomnie à la menace feutrée, elle va dresser des « contre-feux à l'amour ».
Hors de l'admirable maîtrise d'écriture, d'un style « pervers » c'est ce portrait de douairière aristocrate qui se détache, fascinant et terrible. Avec son immoralité géniale et démoniaque, Mrs Midhurst personnifie cette société bâtie sur l'hypocrisie et l'incrédulité, la froideur d'âme et le scepticisme.
Roman de serre chaude, où la chair se corrompt sous le satin, c'est un des phares de la littérature romanesque britannique qui atteint aujourd'hui encore le lecteur dans son audace et sa rigueur.
■ Les contre-feux de l'amour, Algernon-Charles Swinburne, traduction d'Odile de Lalain, Éditions de la Différence/Minos, 222 pages, 2003, ISBN : 9782729114954
Présentation de l'éditeur : Né à Londres en 1837, mort en 1909, Swinburne est initié très tôt aux littératures française et italienne. Il découvre Sade qui le marque profondément. On l'a, d'ailleurs, comparé à un « satyre lâché dans un salon victorien ». Admirateur de Baudelaire et d'Hugo, son œuvre est essentiellement poétique et théâtrale. Il n'a écrit que deux romans, « Les Contre-Feux de l'amour » et « Lesbia Brandon » (Gallimard / L'Imaginaire, 266 pages, 1987, ISBN : 978-2070707836), inachevé. Éblouissant Swinburne... Il raille la morale victorienne. Il vitupère le mauvais génie du christianisme. Ce magot païen, le front trop large auréolé de ces cheveux roux qu'adorent ses amis les peintres préraphaélites, est un jour sauvé de la noyade par Maupassant... En pleine gloire, soudain le génie prend le parti de se claquemurer dans une bicoque « hideuse », comme un rat dans un trou de mur. Il y restera trente ans, y étouffant peu à peu, avec l'aide d'un geôlier bien-aimé, le Mr Hyde qui hante ses romans. En 1877, il se décide à publier un roman épistolaire qu'il a dans ses tiroirs depuis quinze ans, « Les Contre-Feux de l'amour ». L'impeccable traduction d'Odile de Lalain nous laisse déguster un chaud-froid de méchanceté. La figure de Lady Midhurst manipule les âmes pâles ou tourmentées de sa famille avec toute l'autorité que confère l'amour de détruire ou d'empêcher. La préface ajoutée en 1905 par Swinburne révèle d'autres feux sous ces parquets glacés.