L'Église a-t-elle toujours radicalement condamné l'homosexualité ? par Anthony Favier
Le christianisme s'est développé sur le terreau intellectuel du judaïsme. La condamnation de l'homosexualité masculine a été sans surprise reprise. Ces derniers sont vus comme une « abomination » dans le livre du Lévitique (18, 22). Dans les lettres de Paul, juif converti à la nouvelle religion des disciples du Christ au Ier siècle, l'homosexualité est liée à une forme de prostitution sacrée et fortement condamnable (Rm 1,18-32). Les textes sur lesquels s'élabore la pensée de l'Église en Occident ne sont donc pas très favorables aux actes homosexuels. Notons toutefois que les quatre Évangiles, qui rendent compte de la vie de Jésus-Christ, ne font aucune mention explicite de cette question.
Avec l'institutionnalisation progressive de la chrétienté au Moyen Âge, l'Église rend plus formel l'interdit. Vers 542, l'empereur Justinien ordonne de châtrer deux évêques accusés de sodomie. Les rapports homosexuels sont jugés mauvais, car ils entraînent la vengeance divine sur son peuple. C'est l'épisode de la colère de Dieu qui s'abat sur la ville de Sodome dans l'Ancien Testament qui est mobilisée dans la théologie. Il faut pourtant du temps pour que la sodomie soit définie comme crime caractéristique et spécifique dans le droit canonique (de l'Église). Elle se confond pendant longtemps avec ce qu'on appellera plus tard le « crime d'Onan » (onanisme). Le péché de sodomie vise alors l'ensemble des comportements sexuels qui ne cherchent pas la procréation de l'espèce humaine (la fellation ou la masturbation).
La scolastique médiévale, autour de la figure du théologien italien Thomas d'Aquin (1225-1274), fixe une fois pour toutes les termes de la condamnation en Occident. Le professeur à l'université de Paris réintroduit dans la pensée de l'Église celle du philosophe grec de l'Antiquité Aristote. Il existe, selon lui, un ordre « naturel » dans la sexualité qui renvoie au projet de Dieu pour ce monde. Dans ce cadre, tout acte en dehors du mariage qui ne vise pas la procréation est à exclure et à combattre par les autorités tant spirituelles que temporelles.
Accusés de sodomie, le chevalier Puller von Hohenburg et son valet sont brûlés en place publique aux portes de Zurich, en 1482
Se concentrer sur les règles de droit fait peut-être perdre de vue, toutefois, la complexité des situations réelles. En parallèle des condamnations, il existe une tradition homo-affective qui n'a rien d'étonnante dans des sociétés où la mixité est rare. Le personnage d'Ælred (1110-1167) a ainsi depuis longtemps retenu l'attention des chercheurs. Entré à 14 ans à la cour, lié d'une « amitié » avec le prince Henri d'Écosse, il se convertit pour échapper aux tentations de la chair. Il entre au monastère cistercien de Rielvaux, dont il deviendra abbé. Ses écrits sur l'amitié laissent transparaître une forme de sublimation de l'homosexualité dans la vie religieuse.
Plus audacieux, l'historien américain John Boswell a développé des thèses encore beaucoup débattues aujourd'hui. Il aurait existé des bénédictions d'homosexuels sur le modèle du couple composé des saints Serge et Bacchus. Mais n'étaient-ce pas des thématiques plus spirituelles que charnelles ? À l'époque moderne, la ligne dure semble en tout cas l'emporter. L'inquisition, romaine ou ibérique, poursuit la « bougrerie » dans le cadre du programme de reconquête de la Réforme catholique. Le protestantisme ne se distingue pas alors par une plus grande tolérance. Il faut attendre l'époque contemporaine pour voir le dossier théologique être rouvert à la lumière de la tolérance sociale grandissante et d'une meilleure connaissance de la sexualité humaine. La différence grandit toutefois aujourd'hui entre les Églises historiques de la Réforme, de plus en plus ouvertes à l'homosexualité et allant jusqu'à proposer des bénédictions, et l'Église catholique, qui, de Jean-Paul II à François, continue de condamner tout acte homosexuel, même si les personnes doivent être accueillies.
Historia n°864S, Anthony Favier, décembre 2018, pp. 32 à 34