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Un anneau d'argent à l'oreille, Tony Duvert (1982)

Publié le par Jean-Yves Alt

Tout le monde semble gentil, dans ce polar de Tony Duvert. Linge propre, conscience paisible, culture de bon aloi : c'est une bien jolie famille. Père, mère et grands-parents ont investi le XVIe arrondissement. On y porte des noms à la recherche du roman perdu : Oriane la grand-mère, Henri le père, Béatrice la mère, Mme Gilberte Rénal, Julien Sorel et l'ange Gabriel (Gabriel de Lorsange). Et cet anneau d'argent ? C'est Marc qui le porte fièrement. Marc, c'est l'enfant. Il est beau.

C'est au cours d'un repas, que Marc annonce à la famille réunie que le professeur Brisset, son grand-père, est mort, créant la stupéfaction générale. Il faut pourtant bien se rendre à l'évidence : le grand-père a été assassiné.

L'enquête est dirigée, de son bureau, par la commissaire Rênal, qui délègue son travail à son subordonné, Julien Sorel, après lui avoir soigneusement expurgé certaines informations.

Qui est l'assassin ?

● Sa femme qui n'a de cesse d'aimer son premier mari Bertrand ?

● Le docteur Henri Brunet associé et gendre du défunt ?

● Le valet anglais, Peter, qui s'offre de temps en temps du plaisir avec d'autres hommes ?

● Marc, le petit-fils, qui accepte de suivre des inconnus dans la rue ?

● Philippe qui ne supporte pas son demi-frère Marc ?

● Les clients du psychiatre : pourquoi se cachent-ils tous derrière le nom d'une autre personne en prenant rendez-vous ? Notamment Monseigneur Renou : l'inspecteur découvre qu'il se travestit souvent en femme et qu'il aime les garçons. C'est cet archevêque qui a donné à Marc « un anneau du diamètre d'une alliance, très ouvragé, style 1925, en argent massif » que le jeune garçon porte à l'oreille.

Le monde alors s'inverse. Rien que de très normal dans une société libérée. Mais l'inversion n'est pas celle attendue : les parents Brunet sont sympathiques, la grand-mère Oriane Brisset (la veuve) reste calme et détendue, la commissaire Rênal est totalement antiféministe et Julien Sorel, l'homosexuel, est souvent occupé par les devoirs de son foyer… il n'a pas souvent l'occasion de faire briller son intelligence…

Et, l'enfant Marc, que fait-il ? Il est beau, il le sait et il adore qu'on idolâtre, ce que son demi-frère refuse de faire.

Un anneau d'argent à l'oreille, Tony Duvert (1982)

Julien Sorel est pédé. Il vit à la fois en couple bourgeois avec Gabriel de Lorsange et en même temps adore avoir des relations amoureuses sadomasochistes avec lui et/ou d'autres hommes :

« Ils sont fous c'est trop cher », pensa Julien Sorel. On ne pouvait plus s'offrir une soirée dans une boîte pédé, d'ailleurs plus c'est cher plus c'était des vieux ringards. Pourtant, le Black Hole avait la réputation d'être l'un des bars nocturnes les plus actifs de Paris. Mais soixante francs pour deux centilitres d'alcool ! Julien regarda autour de lui. L'obscurité coupée de lumières rouges n'embellissait personne : les rictus des tantes comme-il-faut en étaient même aggravés. La grotte de Lourdes quand les déchets cathos y vont faire leurs grimaces favorites. Mais, au Black Hole, la backroom est célèbre. Julien, ses deux gorgées de mauvais alcool avalées, gagna le fond de la boîte.

Une porte à va-et-vient, genre saloon, et il pénétra dans l'obscurité. Il y avait, là, beaucoup plus de clients, et beaucoup moins de lampes rouges. Une seule, peut-être. On distinguait le métis à rayures longitudinales de quelques matelas militaires inoccupés. Presque tout avait lieu debout.

Julien banda, se déshabilla, fit une boule de ses vêtements. Il avança parmi les corps, poussa une grappe d'enculés, se faufila à travers les suceurs. On lui empoignait la bite au passage, car il la portait haute, à la satyre. Il poursuivit son chemin sans décourager personne. Il avait vu, au fond, ce qu'il aimait le mieux.

Des sangles pendaient du plafond, et un homme y était attaché par ses quatre membres, le cul en bas, les pieds et les mains en l'air. Plusieurs clients nus s'affairaient sur lui. Il était rondouillard, probablement petit, mais d'apparence vigoureuse. Une tête couchée sur son ventre dissimulait son sexe.

Julien fit un tour du pendu : et il vit enfin ce qui pouvait le séduire. Quelqu'un enfonçait son avant-bras par l'anus de ce pendu ; un avant-bras grêle de petit mec, la peau très graissée, les muscles nerveux. Ça tripatouillait. L'excitation du petit mec était extraordinaire. On aurait dit un marmiton qui arrache les entrailles d'un poulet par son cul. Il cherchait.

Troublé, Julien finit par regarder la figure du pendu… » (pp. 94-95)

Cette scène est une belle idée romanesque. Le lecteur est mis en position de voyeur et découvre que l'inconnu dans les sangles n'est autre que Peter, le majordome des Brisset.

Tony Duvert stigmatise sans cesse le petit bonheur homo qui se paie l'aventure comme on va faire ses courses chez l'épicier du coin.

Corrosif, violent, parodique, iconoclaste, ce roman ? Bien sûr. Mais c'est aussi un livre, magnifiquement construit. Les dialogues, qui en composent l'essentiel, sont merveilles du genre. Pas de commentaires, la seule fiction pour la plus forte jouissante… avec rires et lucidité en prime.

Ce petit monde va allègrement vers la mort, prétentieux et candide.

Et l'enfant ? L'enfant, il tire superbement son épingle du jeu.

■ Un anneau d’argent à l’oreille, Tony Duvert, Éditions de Minuit, 157 pages, 1982, ISBN : 2707306061


Du même auteur : L'île Atlantique


À lire aussi le passionnant essai de Gilles Sebhan : « Retour à Duvert », éditions Le Dilletante, 224 pages, 14 octobre 2015, ISBN : 978-2842638337 : Gilles Sebhan revient sur la vie de Tony Duvert en s’appuyant sur les témoignages de son frère et du meilleur ami de l’écrivain, ainsi que sur la correspondance de ce dernier.

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