L'amant fantasmatique (Journal de Kerbihan), Guy Bordin
Le narrateur de « L’amant fantasmatique » est troublant dans son obsession du sexe. Comment ne pas l’imaginer dans la réalité toujours vierge puisque ses rencontres, ses expériences sexuelles dans la forêt sont fantasmatiques ?
Ce jeune étudiant est effronté et hardi dans sa façon de raconter son vécu : son récit épistolaire se passe dans les années 80. Jeune homme également naïf car sa vie réelle semble empêtrée dans un éden virtuel répétitif. Si des actes eux-mêmes, il connaît les détails les plus croustillants, en a-t-il jamais expérimenté, en vrai, un jour, le goût, la saveur ? Tout cela rend ce personnage particulièrement attachant et à la fois singulièrement ennuyeux parce que, dans son récit, il ne fait que répéter ses « rêves » sexuels : sont absents, dans tout son récit, le souvenir des contacts des peaux.
Le narrateur a, d’une certaine façon, institutionnalisé, sa vie sexuelle en la calquant sur les recherches de son cousin-professeur qui travaille sur les us et coutumes des Esquimaux. Ce qui n’a rien d’une anecdote. Si ce livre devait avoir une suite, comment ce narrateur pourrait-il faire évoluer son parcours tant est fort son « choix » de vie sexuelle virtuelle ? En rentrant dans une sorte d’autisme, ne va-t-il va se fixer dans une instabilité générale ? Il n’est jamais sûr en allant dans la forêt qu’il va faire la rencontre qu’il désire. Peut-être a-t-il peur de l’incertitude ? Pourtant cette dernière dirige les liens dans la vie réelle.
Le narrateur ne manque pas de désir, au contraire, sa vie n’est nourrie que par eux. Mais cette nourriture n’est associée à aucune sociabilité. Quel salut – sur terre – (c’est-à-dire psychologique et social) aura ce garçon ? Où sont ses émotions ?
Ce livre interroge, à partir du vécu des peuples Esquimaux, à savoir quand une personne fantasme sur une autre, celle-ci prendrait place corps et âme dans la réalité de la première personne : ne serait-ce pas là, la principale thématique de ce roman, celle de l’affirmation d’une position de pouvoir.
Ce roman sonde aussi la sexualité dans le monde d’aujourd’hui, à l’époque des applications, où la consommation effrénée de sexe ne permet jamais de se comprendre mieux. S’affirmer par ce qu’on refuse chez l’autre n’aboutit qu’à se singulariser totalement et donc à s’isoler. Plus on rencontre des personnes, plus on prend conscience de ce qui leur manque et donc plus on a l’envie de les rejeter. Tout ce processus s’inscrit dans une nouvelle phase de l’individualisme où le moi s’affirme précisément par ce qu’il rejette.
La rareté dans les relations ne permet-elle pas que le désir ne soit pas une simple machine, une seule mécanique ?
■ L'amant fantasmatique (Journal de Kerbihan), Guy Bordin, Éditions Maïa, 117 pages, avril 2020, ISBN : 978279163265
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