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Le stéréotype du nazi homosexuel par Michel Celse

Publié le par Jean-Yves Alt

Les représentations viscontiennes (Les Damnés, 1969) d'orgies homosexuelles au sein des SA (Sections d'assaut) aux déportés homosexuels marqués du triangle rose, la perception de la condition des homosexuels sous le Troisième Reich oscille entre une imagerie qui dépeint souvent le nazi en homosexuel et une réalité historique qui fait, au contraire, apparaître la dictature nationale-socialiste comme une période de répression féroce et sanglante de l'homosexualité.

La persistance, dans l'imaginaire commun, de l'idée d'un lien intrinsèque entre adhésion au nazisme et orientation homosexuelle est si paradoxale qu'elle exige qu'on en interroge la genèse. Il est, tout d'abord, évident qu'il y avait des homosexuels parmi les nazis ou, inversement, des nazis parmi les homosexuels, mais cela ne signifie rien en soi. L'image du nazi homosexuel se nourrit, en revanche, des ambiguïtés homo-érotiques qu'offraient, à l'évidence, certains aspects du modèle social et idéologique proposé par le mouvement national-socialiste, tels que le culte du corps viril, l'exaltation d'une domination masculine de type militaire ou encore le rôle dévolu à des sociétés exclusivement masculines comme les SA, les SS (Sections spéciales) les Jeunesses hitlériennes ou l'armée. Mais ces ambiguïtés ne suffisent pas à fonder un lien de nature entre homosexualité et nazisme.

Tout au plus permettent-elles de comprendre qu'un certain nombre d'homosexuels aient pu s'aveugler, dans un premier temps, quant au sort que leur réservait le projet national-socialiste. Car, à l'inverse, d'autres aspects, tout aussi manifestes, de l'idéologie nazie telle qu'elle se dessine dès Mein Kampf (1925) démentent radicalement le soupçon d'une complaisance quelconque du nazisme à l'égard de l'homosexualité ou des homosexuels.

Dès la prise du pouvoir, la politique de terreur qui s'engage contre les homosexuels révèle sans détour la nature, entre autres, anti-homosexuelle du régime et de sa doctrine. Aussi le paradoxe de l'identification entre nazi et homosexuel doit-il se comprendre non dans l'ordre des faits, mais dans celui de l'image du nazi que l'opposition antifasciste allemande et internationale s'emploie systématiquement à construire, à partir du début des années 1930, selon une logique homophobe primaire.

L'origine se situe dans les virulentes campagnes que la presse sociale-démocrate et communiste engage, à partir de 1931, pour dénoncer l'homosexualité d'Ernst Röhm [ci-contre], chef des SA et à cette époque le plus proche compagnon d'Hitler dans sa conquête du pouvoir. Il faut rappeler ici que la répression de l'homosexualité en Allemagne est inscrite dans le § 175 du Code pénal de 1871, et que cette législation, propice aux chantages en tout genre, est régulièrement à l'origine de scandales politico-sexuels largement étalés dans la presse.

Dans les années 1920, le combat des organisations homosexuelles pour l'abrogation du § 175 finit par rallier le soutien du Parti social-démocrate et du Parti communiste, non sans dissensions en leur sein. Face à la montée en puissance du parti nazi, les deux partis n'hésitent toutefois pas à sacrifier cette position libérale au profit d'une propagande outrancièrement homophobe, jugée plus populaire et censée jeter un discrédit durable sur les SA et, par extension, sur Hitler et les plus hauts dignitaires du parti. Röhm fournit une cible idéale, que la presse de gauche attaque sans discontinuer de 1931 à 1933 : Hitler ne peut, à l'époque, se permettre de l’écarter, et doit par conséquent le soutenir régulièrement, en dépit des révélations toujours plus détaillées, dans les journaux de gauche, de ses débauches réelles ou fantasmées avec les jeunes recrues de la SA. Le soutien sans faille de Hitler à Röhm offre à la gauche l'occasion rêvée d'accuser le parti nazi de duplicité et d'accréditer l'image d'une confrérie homosexuelle à sa direction : reprenant à son compte l'argumentaire nazi d'un péril homosexuel menaçant la nation allemande, la gauche peut aisément reprocher au parti nazi de ne pas combattre l'homosexualité dans ses rangs, et inférer de cette protection l'image d'un parti d'homosexuels visant à s'assurer l'impunité de leurs agissements.

Après 1933, dans les conditions de l'exil, la gauche antifasciste allemande ne cesse de reprendre cette image, de plus en plus stéréotypée, dans son discours désormais adressé aux opinions publiques étrangères. Les témoignages en provenance d'Allemagne qui font état de rafles et d'internements d'homosexuels en camps n'y changent rien, pas plus que la Nuit des longs couteaux, en 1934, qui répond à d'autres impératifs politiques que l'homosexualité des dirigeants des SA, mais que Hitler choisit de présenter comme le démantèlement d'un complot d'homosexuels emmené par Röhm.

La répression des homosexuels a commencé sur le terrain dès 1933, mais la liquidation de Röhm donne le signal d'une propagande anti-homosexuelle intense, et offre désormais toute liberté à Heinrich Himmler de mettre en œuvre à grande échelle son programme d'éradication de l'homosexualité. Pour les antifascistes en exil, il ne s'agit que de règlements de comptes entre nazis homosexuels.

Progressivement, durant la guerre et surtout à la fin, avec la prise de conscience de l'ampleur des crimes nazis et de leur barbarie inouïe, le stéréotype du nazi homosexuel acquiert une consistance nouvelle, particulièrement ignoble, en prenant insidieusement valeur d'explication psychologique : seuls des pervers, des détraqués sexuels peuvent être capables de tant de monstruosité.

L’examen du discours national-socialiste sur l'homosexualité ne laisse pourtant aucun doute quant à la détermination des nazis à la combattre, dès les origines du mouvement. Les fondements théoriques de leur politique anti-homosexuels, même s'ils puisent largement dans les clichés et schémas homophobes traditionnels, ne se réduisent pas à un simple héritage. Les nazis font d'emblée passer la condamnation de l'homosexualité du domaine de la morale publique à celui de l'hygiène raciale.

Michel Celse

■ Extrait de l'article « Nazisme » par Michel Celse in Dictionnaire des Cultures Gays et Lesbiennes sous la direction de Didier Eribon, Editions Larousse, 2003, ISBN :2035051649, pages 334 à 338


Michel Celse, germaniste, ancien élève de l'École normale supérieure, militant d'Act Up-Paris, a écrit plusieurs articles sur l'histoire de l'homosexualité et la condition des homosexuels en Allemagne au XXe siècle.

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S
Cher Collègue<br /> <br /> je vous fais part de la publication ce mois ci de mon dernier ouvrage : LE ROSE ET LE BRUN, aux Editions Dualpha.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Argument du livre : <br /> <br /> La montée du nazisme en Allemagne, puis son triomphe, restent une énigme qui hante la "civilisation " occidentale. Seize ans après avoir publié "Juifs et Allemands, Préhistoire d'un génocide", Philippe Simonnot propose ici une deuxième clef d'interprétation : le Reich, depuis la fin du 19ème siècle, était largement en "avance" sur tous les autres pays, à la fois sur le plan des mœurs et sur le plan de la réflexion homosexuelle. Une grande partie de cette homosexualité était marquée de « caractères secondaires » : germanisme, hellénisme, paganisme, racisme, culte de la virilité, jeunisme, eugénisme, anti-christianisme et antisémitisme – autant de caractères qui seront repris par le nazisme d’autant plus facilement qu’ils avaient été acclimatés. D’autres pays étaient touchés, tels la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, par cet « homosexualisme »-là, ce qui a facilité le rayonnement international du nazisme. L’arrivée au pouvoir d’Hitler a dès lors été perçue, par toute une partie de la société allemande et par certaines élites étrangères, comme le triomphe d’une révolution sexuelle qui ne disait pas son nom. Par une ruse dont l’Histoire est coutumière, pour consolider son pouvoir, notamment face à une gauche socialiste et communiste qui dénonçait certaines relations entre homosexualité et nazisme, Hitler a renié et même massacré par milliers une partie de ceux qui l’avaient aidé dans sa « résistible ascension », tout en récupérant les caractères secondaires précités. <br /> <br /> <br /> <br /> Ex-professeur d'Economie du Droit à Paris-Nanterre, ancien chroniqueur au journal Le Monde, Philippe Simonnot a consacré une partie de son œuvre à l'Allemagne, à la relation franco-allemande et aux rapports entre christianisme et judaïsme.<br /> <br /> Salutations très distinguées<br /> <br /> Ph S
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