L'homosexualité en Chine (2/2)
Tout en ne réduisant plus le sexe à la procréation, comme le faisait la tradition confucianiste, la mise en place par le gouvernement de la politique de l'enfant unique n'a pas assoupli l'emprise des mentalités sur la liberté sexuelle. Une évolution de la société dans ce sens est incertaine : la société chinoise, dans son ensemble, se montre ignorante vis-à-vis de l'homosexualité.
Jusqu'au début du XXe siècle, il n'y avait pas d'équivalent médical ou scientifique comparable au terme d'« homosexualité ». On préférait utiliser des métaphores poétiques en se référant à des anecdotes ou des personnages célèbres associés à des relations homosexuelles. Ainsi, le chinois classique parlait des « passions de la manche coupée » pour faire allusion aux amours masculines ou de « repas partagé » pour les amours saphiques.
La Chine d'aujourd'hui s'est coupée de son passé et de cette tradition qui, depuis l'Antiquité jusqu'aux années 30 ou 40, non seulement considérait les amours de même sexe comme une alternative aux amours hétérosexuelles mais fournissait aussi bon nombre de modèles d'identification célèbres.
Pour ce faire, nul besoin de censurer les textes anciens. En simplifiant le langage littéraire classique, les réformateurs maoïstes ont coupé le peuple de cette tradition. Les Chinois n'y ont plus accès parce qu'ils ne comprennent pas la langue classique, qu'ils ignorent qu'elle existe et où elle se trouve. Ce changement de langage a eu au moins deux effets majeurs : celui d'occidentaliser les catégories sexuelles chinoises et les termes du discours sur l'homosexualité. Les anciennes conceptions fluides de la sexualité, dans lesquelles un individu pouvait apprécier un spectre de plaisirs sexuels différents, ont été remplacées par la dichotomie occidentale : homosexualité contre hétérosexualité.
Pourtant, le confucianisme n'a pas toujours imposé ses valeurs morales rigides. Pendant des siècles, la sexualité a été influencée en Chine par le Tao qui régulait la sexualité de manière plus cosmique que morale, la rapportant à une conception du monde qui est celle de l'équilibre des énergies Yin et Yang. Les hommes étaient certes obligés de se marier pour assurer une descendance, mais restaient libres d'avoir des concubines ou des amants.
Le sexe entre deux hommes ou deux femmes était donc ni plus ni moins qu'une forme de plaisir parmi d'autres dont on trouve trace dans la plupart des recueils de récits sous les différentes dynasties.
L'anecdote la plus célèbre est bien sûr celle de « la manche coupée » (1) dont le nom est resté pour qualifier les amours masculines. Elle remonte à la dynastie des Han qui a gouverné la Chine de 206 avant J.-C. à 220 après J.-C. et raconte qu'un jour, l'empereur Ai-ti (de l'an 6 avant J.-C. à l'an 1 après J.-C.) et son "favori" Tong Hsien s'étaient endormis l'un contre l'autre, Tong Hsien dormant étendu sur la manche de son empereur. Lorsque celui-ci voulut se lever, il préféra couper la manche de son propre vêtement plutôt que de réveiller son amant. Ce court passage évoquant l'amour entre deux hommes est sans nul doute celui qui a eu le plus influencé la tradition homosexuelle chinoise.
L'anecdote de la « pêche partagée », antérieure à celle de la «manche coupée» puisqu'elle remonte à la dynastie Zhou (de 1122 à 256 avant J.-C.) a elle aussi servi à qualifier l'amour entre deux hommes. Elle raconte la relation amoureuse entre le duc Ling de Wei et son amant Mizi Xia. L'histoire dit qu'un jour, alors que les deux hommes se promenaient dans un verger, Mizi Xia croqua dans une pêche et la trouva si savoureuse qu'il s'arrêta net de la manger pour offrir la moitié restante à son duc. Celui-ci prit ce geste comme une preuve d'amour réalisant que son amant avait oublié son propre appétit pour lui faire partager ce qu'il aimait. L'expression « pêche partagée » est également restée depuis lors pour désigner une relation amoureuse entre deux hommes.
Le manque de liberté des femmes et le fait que la littérature classique chinoise ait presque toujours été écrite par et pour des hommes, explique la rareté des références aux amours saphiques dans les sources traditionnelles. L'expression « partager un repas » semble toutefois être la plus ancienne allusion littéraire classique aux amours entre femmes, puisqu'elle désignait, sous l'époque Han, des femmes attachées l'une à l'autre comme le sont maris et femmes. La tradition homosexuelle chinoise ne se limite bien évidemment pas à ces quelques exemples. On peut, au contraire, trouver trace de récits sur des amours homosexuelles dans la plupart des recueils historiques sur une époque donnée, ainsi que dans les histoires populaires et les satires paillardes.
C'est seulement dans les derniers siècles, sous la dynastie Qing (de 1644 à 1912), que l'intolérance commence à apparaître, comme conséquence d'une application plus stricte de la théorie néo-confucéenne sur la famille visant à limiter la sexualité au mariage.
La littérature populaire sous les Qing fournit toutefois, elle aussi, des récits qui traitent des amours masculines dans toutes les couches de la société et le fait que "Le rêve dans le pavillon rouge" de Cao Xueqin (1715-1763), un des romans les plus populaires de Chine, ait été écrit à cette époque, relativise la portée du conservatisme naissant de cette période.
(1) Sur la « manche coupée », lire également l'article de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com
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