Le prisonnier du temps qui passe, Nicole Adrienne
Le drame de ces hommes qui, pour mener une vie « normale », ont étouffé leur homosexualité est au cœur de ce beau roman, baigné de nostalgie et de regrets.
André a cinquante ans. Une maladie qui le ronge et réduit chaque jour un peu plus ses forces. Pourtant, il ressent tout neuf, au fond de lui, ce désir de gloire, cette certitude de réussite, cette adolescence si présente qu'elle devient une torture.
Sa vie offre tous les signes extérieurs de la normalité : d'abord architecte, il a quitté son cabinet pour réaliser des films industriels. Son ambition ne s'arrête pas à cette tâche de bon faiseur ; il voudrait écrire des scénarios intéressants, les réaliser, mais cela n'aboutit jamais. Il ne parvient pas à concrétiser ses aspirations.
Marié à Juliette, il est père de trois enfants qui, même s'ils vivent auprès de lui, ne lui semblent pas moins étrangers.
Sa femme le soigne avec sollicitude et lassitude aussi, sans comprendre les tourments qui l'agitent, les motifs de la dépression qui, peu à peu, l'engloutit.
André cherche refuge auprès d'une jeune fille, Isabelle, rencontrée dans un musée ; mais avec elle, ce sont les remords de tromper son épouse qui le tiraille.
Le corps et l'âme brisés, il se réfugie dans ses pensées où s'entremêlent souvenirs d'enfance et fantasmes longtemps refoulés.
Pendant toute son adolescence, l'image d'un homme l'a accompagné, un homme avec lequel il vivait silencieusement une sexualité intimement désirée, délicieusement sublimée et pourtant consciemment refoulée. Dans son souvenir, il quête cette protection virile, cette force qui se refermera sur lui et le protégera, cette chair semblable à la sienne, cette tendresse lisse dans laquelle il pourra se blottir, sans crainte qu'elle le dévore.
Il revoit Jérôme, son ami d'enfance, avec lequel il goûtait ce plaisir neuf, il revit une scène de jeunesse avec Laurent, leurs vacances d'amoureux insouciants. Avec sa mère, vieille aujourd'hui, et qui se lamente du gâchis que son fils a fait de sa vie, il évoque les moments de bonheur qu'ils partageaient ensemble, lorsqu'elle cédait à son désir de porter ses vêtements, de se maquiller...
Sans cesse, la conscience d'André vogue du passé au présent. Avec une infinie tristesse, qui est bien plus que de la mélancolie, il se réfugie dans la mémoire jusqu'à ne plus se soucier de sa maladie, des gens qui l'entourent, qui l'aiment sans réponse. André poursuit un inexorable parcours d'autodestruction, effectue une terrible descente dans son enfer personnel.
Le Prisonnier du temps qui passe est un livre douloureux, dont la puissance d'émotion est aussi grande que l'inéluctable pessimisme. Mais curieusement, sa lecture, loin d'oppresser, procure une ineffable douceur.
■ Le prisonnier du temps qui passe, Nicole Adrienne, éditions des Presses de la Renaissance, 1984, ISBN : 2856163068
Du même auteur : Le calicot