Mon regard sur le « saint Sébastien » d'Eustache Le Sueur
Du corps de Sébastien, je ne perçois d'abord que cette couleur de la chair approchée par la mort. Seules, les extrémités des doigts semblent encore attachées à la vie.
Ses yeux sont transportés. Sa bouche est très légèrement entr'ouverte. Pour dire son acceptation de mourir ?
C'est d'abord de mourir à lui-même que Sébastien a accepté. Il y consent car il a aimé Dieu dans la passion ; il s'y est fondu, au point de s'y perdre. Son regard extatique exprime tant ce spasme d'amour que ce râle d'agonie ; les deux se mêlant dans ses yeux.
Eustache Le Sueur, avec une suave dérision, me montre ici une attitude trop théâtrale (magnifiques drapés aux couleurs primaires si caractéristiques qui ouvrent comme une scène) pour être honnête. Comment peut-on être capable de mourir avec tant de grâce ?
Eustache Le Sueur (1616-1655) – Saint Sébastien
Huile sur toile – Musée de Tours
Il y a dans ce corps – offert à la mort – une volonté secrète du martyre. Volonté qui me paraît être à l'origine des rêveries de tous ceux qui sont fascinés par ce regard de Sébastien qui défie, ironique, ambigu…
Sébastien après le départ des archers est protégé par sainte Irène, sa servante et une suite d'anges : ces personnages agissent sur moi comme un enclos sacré, métaphore de l'Eglise. Aucun effroi ne se lit sur leurs visages : chacun est occupé à sa mission ; l'heure n'est pas aux regards qui s'affrontent. Fin des tumultes de la vie, les portes du temps peuvent s'ouvrir à Sébastien.
Les flèches et les liens du supplice délimitent le territoire terrestre de Sébastien. La servante les ramasse avec délicatesse comme ultime trace, futures reliques du saint, bientôt disparu aux yeux des hommes. Pour nous, simples mortels, les portes du temps s'arrêtent à cette partie du tableau.