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Intelligences avec l'ennemi, Jacques Moreau (1940)

Publié le par Jean-Yves Alt

1898 : deux adolescents, Pierre, un Français et Franz, un Prussien, se rencontrent et se lient d'amitié, au mépris des préjugés nationaux. Voilà le départ de ce roman qui mène jusqu'aux suites des massacres ordonnés par Hitler le 30 juin 1934. Etonnant pour un livre publié, la première fois en avril 1940 !

Ivres de vie, enthousiastes de la nature, sains de corps et d'esprit, ils pratiquent tous deux la liberté, l'égalité, la fraternité. Même, ils s'étonnent que tout le monde n'en fasse pas autant...

La vie les sépare, leurs patries les opposent. Mais leur amitié demeure et, périodiquement, les rapproche. Comme ils sont en confiance, ils osent confronter leurs idées. Ils s'habituent à voir toute question sous deux aspects, l'un français, l'autre allemand.

Souvent, emportés dans le tourbillon des luttes politiques, saisis par la débauche des passions collectives, leur bonne foi sera souvent surprise. Prévenus contre le fanatisme, les deux amis ne s'en garderont pas toujours. Ils tomberont dans l'erreur, de là dans l'injustice. Mais, rappelés à l'ordre par la contre-épreuve de leurs intelligences, ils resteront lucides et se diront leurs vérités.

Vivant reportage, Intelligences avec l'ennemi se poursuit pendant une époque sans précédent dans l'histoire. Les deux héros, ballottés entre leurs désirs et les éléments déchaînés, évoluent chacun pour soi, mais, coéquipiers fidèles, ils subissent, l'un et l'autre, les inflexions de leur ambiance cordiale.

Par la force des choses, ils sont amenés à réagir contre les vents de folie qui soufflent, en sens contraire, sur leurs patries respectives.

Pierre, le jeune Français qui restera toute sa vie célibataire, plutôt libéral, trouve que la France est livrée à des utopistes qui glissent toujours plus à gauche tandis que Franz sent que son pays, en proie au délire de grandeur, se laisse entraîner dans un nationalisme de plus en plus exigeant pour se donner finalement au fanatisme hitlérien.

Désespoir de Franz, Allemand goethéen qui assiste, impuissant, au progrès du mal : sa seconde femme et son fils, Erwin, né d'un premier mariage, ont été pris par la mystique hitlérienne. Un seul refuge pour lui : son ami français. Encore lui reproche-t-il son indulgence à l'égard du régime qu'il exècre ! A vouloir résister quand même, Franz use ses forces. Le 1er juillet 1934, à l'âge de 51 ans, il décède subitement. Cette mort (crime ?) demeure, comme tant d'autres, entourée de mystère. Elle servira au moins à ouvrir les yeux de Hilde, sa femme, et de son fils Erwin, âgé de 17 ans.

Intelligences avec l'ennemi se présente comme un film continu : chronique où défilent les grands événements de l'histoire de l'Europe de cette période.

« Intelligences avec l'ennemi. Pourquoi avec l'ennemi ? D'abord, parce que l'ennemi est le meilleur ami de notre intelligence. Celle-ci implique une faculté sélective et je ne puis penser ni agir avec discernement qu'à condition de me dédoubler, afin de peser le pour et le contre. La vie nous enseigne que nos jugements, surtout ceux que nous présumons intangibles, se trouvent en péril dès que nous les exposons au fer acéré de nos adversaires ou seulement au fleuret moucheté de ceux qui ne pensent pas comme nous. Eh bien, nous devons nous prêter à cette escrime, afin que le meilleur gagne. Car, au moral comme au physique, l'inégalité étant seule capable d'énergie, l'étincelle ne saurait jaillir qu'entre deux pôles antagonistes. » (pp.7-8)

■ Intelligences avec l'ennemi, Jacques Moreau, éditions Plon, 1940 pour la première édition, 1946 pour l’édition augmentée de "Epilogue 1945", 749 pages pour cette dernière édition avec des pages encore censurées

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