Sodome et Gomorrhe au cinéma
Hollywood, pourtant friand de matière biblique, n'a que rarement abordé l'épisode de la destruction de Sodome et Gomorrhe. Jusqu'aux années 1970, le cinéma américain n'évoquait que de manière voilée le thème de l'homosexualité.
« Le soleil se levait sur la terre [...] quand le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu » (Genèse, 19, 23-24). C'est ainsi que furent détruites deux cités dont l'une d'entre elles, au moins, Sodome, s'était livrée à ce que le Lévitique nomme par deux fois (18, 22 et 20, 13) une « abomination » : l'homosexualité masculine.
Le cinéma, pourtant friand de matière biblique, n'a que rarement traité l'épisode : une demi-douzaine de fois à peine. En outre, il a étonnamment peu insisté sur l'essence même du péché qui justifie la condamnation – l'homosexualité.
La première tentative cinématographique fut celle de l'Autrichien Mihaly Kertesz qui deviendra à Hollywood Michael Curtiz. Son Sixième Commandement (1922) se présente comme les films de l'époque : l'épisode biblique n'est destiné qu'à illustrer un récit contemporain. Ici, une jeune femme amorale et débauchée se rêve à la fois femme de Loth et reine de Syrie, au cœur des perversions de Sodome, puis de sa destruction.
Quelques années plus tard, en 1933, James Sibley Watson et Melville Webber imaginent, dans un court métrage expérimental, influencé à la fois par les théories freudiennes et le surréalisme, Lot in Sodom, une mise en images, souvent faite de surimpressions, de l'épisode biblique, entrecoupée de scènes oniriques dont le sujet est Loth.
On pouvait penser, en 1961, alors que la vogue du film à l'antique était à son zénith, que le Sodome et Gomorrhe de Robert Aldrich et Sergio Leone restituerait le véritable climat du récit biblique. Il n'en fut rien. Certes la destruction de Sodome et Gomorrhe était à la hauteur du spectaculaire de l'époque, mais les raisons qui la provoquèrent se trouvaient noyées dans un ensemble où se mêlaient un esclavagisme féroce, une violence effrénée, une soif impie du pouvoir.
La sexualité ne se manifestait que par quelques scènes très allusives (comprenne qui pourra). Il est vrai que pour l'Américain Aldrich le summum de l'audace résidait dans le fait qu'un frère mordit le doigt de sa royale soeur...
On retrouvera l'épisode inséré dans son contexte biblique dans La Bible de John Huston (1966), les séries Les Plus Grands Héros de la Bible (James L. Conway, 1979, épisode 12) et La Bible (Joseph Sargent, 1993, épisode : Abraham). Là encore, surtout dans le film de Huston, le texte biblique est illustré d'images orgiaques traditionnelles mais servant de support à l'attente de la catastrophe finale.
Le sujet devait retrouver les couleurs du réalisme le plus cru dans Sodom and Gommorrah : the Last Seven Days, un film pornographique de Jim et Artie Mitchell (1976).
Bref, tout se passe comme si Hollywood n'avait pas voulu, en traitant de la matière biblique, doublement choquer. Et dans la mise en images du texte sacré et dans l'évocation d'une homosexualité que le cinéma américain ne mentionnera que de façon allusive et voilée jusqu'aux années 1970. Paradoxalement, c'est le film autrichien de 1922 qui est allé le plus loin dans l'audace. Audace limitée pourtant par le choix d'une héroïne féminine pour parler de Sodome...
Claude Aziza
Maître de conférences à la Sorbonne-Nouvelle
■ in L’Histoire n°221 (Dossier : Enquête sur un tabou – Les homosexuels en Occident), mai 1998, page 32
Image : Anouk Aimée dans Sodome et Gomorrhe de Robert Aldrich et Sergio Leone, 1961