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Quand le roman policier a commencé à voir rose…

Publié le par Jean-Yves Alt

L'homosexualité dans les romans policiers n'a guère été présente avant les années 1980. Peut-être que cette absence, doit-elle ses causes à l'image toute faite du détective tombeur de femmes.

Les premiers ouvrages abordant ce thème paraissent après la seconde guerre mondiale :

- En 1947, La balle dans le ballet de Caryl Brahms mettait en scène des danseurs et plusieurs personnages très caricaturaux.

- En 1953, les Presses de la Cité lançaient le roman d'Edgar Box (Gore Vidal), La mort en cinquième position :

Ce roman policier allie un excellent suspense à un style clair pour démasquer l'assassin d'une ballerine célèbre. Cette fois, ce n'est pas la victime mais le tueur qui voue son amour à un jeune danseur. Le personnage de Sargeant, qui recherche indirectement le coupable, est passionnant, et pudique la description des relations entre les deux hommes. Il faut souligner le courage de l'auteur qui, il y a plus de cinquante ans, n'a pas hésité à parler, en toute liberté, de ce fléau comme le qualifiait alors la société.

- Deux ans plus tard, sous le pseudonyme de Kaput, Frédéric Dard écrivait La dragée haute :

Un tueur supprime un homosexuel dans une vespasienne. Là encore, la victime était un inverti.

- Un an avant les événements de mai 68, la collection Série Noire présentait le roman de George Baxt, Drôle de sauna :

Un flic, noir et préférant les hommes, enquête sur les milieux de Harlem. Un livre haut en couleurs qui permet de mieux connaître les affres de ces retranchés.

- Puis, en 1971, paraissait Cruising de Gérald Walker, en français Piège à hommes :

Une histoire haletante dans un quartier d'homosexuels et, plus particulièrement, un lieu de la prostitution masculine hanté par un obsédé sexuel. Le journal de l'inspecteur, chargé de travestir ses agents pour trouver le coupable, est intéressant dès le premier jour. Une histoire originale, émouvante, sur cette prostitution masculine à peine tolérée par le peuple et méprisée par un tueur.

- Entre 1971 et 1979, Joseph Hansen écrivait deux polars : Un blond évaporé et Les mouettes volent bas :

Le héros est Dave Brandstetter, un détective homo. Sa première enquête consiste à éclaircir un mystère, trouver les causes d'un soi-disant suicide qui s'avèrera plus tard un crime crapuleux. Les personnages ne sont pas dénués d'intérêt, surtout la victime, Fox Olson, un chanteur parvenu à une gloire tardive et qui cachait ses amours avec un jeune garçon.

Le second roman de Joseph Hansen (Les Mouettes volent bas) parle peu de la vie intime du détective Brandstetter. Son père, sans nulle gêne, semble accepter la manière dont vit son fils, considère avec bienveillance ses penchants et ses goûts pour les hommes.

- Fin des années 70, le premier coup de tonnerre dans le ciel macho du polar avec son héros tombeur de femmes éclatait avec Société de compromission de Vic St-Val :

Le héros, hétéro grand teint, toujours flanqué de son gorille Snaky, vole au secours des pédés et réplique à une vaste campagne hystérique antihomosexuelle. Tout commence dans une petite ville de Floride où un groupe de libération gay organise un mariage pour réclamer la plénitude des droits démocratiques. Sur le passage du cortège la foule s'agglutine curieuse, houleuse, furieuse ; elle hurle sur le thème Protégeons nos enfants. L'affrontement est inévitable : bousculade, coups de poings et de banderoles, coup de feu, un mort.

Le héros intervient et inflige au bon Snaky éberlué un petit topo :

1. sur les rôles masculin-féminin et leur utilisation par la société

2. sur les renversements de tendances sociologiques, tendances alors plutôt libérales quant aux moeurs, qui ne peuvent donc se renverser du jour au lendemain, et cette contre-manifestation a été manipulée

3. sur l'utilisation des homos comme boucs émissaires et premières lignes d'une répression plus vaste d'un fascisme rampant

L'enquête se déroule sur fond de clichés classiques (la tante, la folle) émaillée pourtant de réflexions intéressantes. La fin, complètement loufoque, est par contre bâclée.

- Toujours en 1979, Effets spéciaux de Max Perry, inspiré des incidents qui ont émaillé le tournage du film Cruising, allait plus loin dans la compréhension des divers comportements homosexuels :

Les homos de Greenwich Village, et plus particulièrement de Gay Street, perturbent le tournage d'un film sur le thème du PD-tueur-psychopathe quand un des acteurs est assassiné. Le lieutenant Sparks chargé de l'enquête démarre avec un gros paquet de préjugés, d'autant qu'il y a peu, son fils a avoué son homosexualité et il l'a chassé. La recherche du meurtrier, que la hiérarchie policière et municipale situe chez les PD, amène Sparks à rencontrer, cotoyer des homos militants ou vivant en couple et même à sympathiser. Parallèle à celle de l'enquête, l'évolution de Sparks, bien que rapide, n'est pas trop caricaturale. L'accent est cependant mis sur une homosexualité propre et rangée ou militante digne. Les dragueurs sont évoqués avec un petit grincement de plume. L'ambiance générale du livre est plutôt tonique et incite plus au coming out qu'au repli sur soi.

- Les années 1979 et 1980 annoncent un changement. Les tabous disparaissent et l'amour au masculin est accepté. Nicolas Baudrin le montrait dans deux livres, Ô tante en emporte le vent et L'automne à Romorantin :

L'intrigue possède peu de qualités mais le personnage de Michel Lantin a une importance primordiale. On le voit déprimé et volontaire. Ce militant pour une existence meilleure rencontre Bruno. Et tout au long de ses périples, Michel pense à son très jeune amant. La description des scènes d'amour, voulues plus osées que dans les romans précédents, garde toute sa beauté. Malgré ce jeu de mots, un peu douteux, Ô tante en emporte le vent prouve bien que les temps avaient changé.

Le deuxième livre ne diffère guère dans l'écriture et dans les personnages. Il s'agit d'une intrigue politique et, par certains côtés, ce roman se voulait politisé. Mais avec toujours de l'émotion, de la tendresse et le bonheur des deux amants.

- En 1982 paraissait un excellent roman Faut pas avoir honte, d'Arthur Lyons :

Une histoire envoûtante, malgré sa longueur, peu habituelle pour un polar. Contrairement aux ouvrages de Baudrin, ce roman a les allures d'un policier classique plutôt bien écrit. Ecrasée par les détails (un nombre impressionnant d'individus), la perception de l'affectivité passe hélas au second plan. Mais l'idée d'entraîner le lecteur sur une fausse piste garde toute son originalité.

- Toujours en 1982, avec Les damnés du bitume, Richard Stevenson entraînait ses lecteurs dans la vie privée d'un détective homo, Donald, avec son amant, Timmy :

Là, il n'y a pas de coupure entre vie privée et vie professionnelle : homo il est, homo il reste dans son travail comme chez lui.

 DAMNES-DU-BITUME-STEVENSON.jpg


Bibliographie :

Caryl Brahms, La balle dans le ballet,1947

Edgar Box, La mort en cinquième position, 1953

Kaput (Frédéric Dard), La dragée haute, 1955

George Baxt, Drôle de sauna, 1967

Gérald Walker, Cruising (Piège à hommes), 1971

Joseph Hansen, Un blond évaporé, 1971

Vic St-Val, Société de compromission, 1977

Joseph Hansen, Les mouettes volent bas, 1979

Nicolas Baudrin, Ô tante en emporte le vent, 1979

Nicolas Baudrin, L'automne à Romorantin, 1979

Max Perry, Effets spéciaux, 1979

Arthur Lyons, Faut pas avoir honte, 1982

Richard Stevenson, Les damnés du bitume, 1982

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