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La Faille, Michel Aurouze

Publié le par Jean-Yves Alt

FailleS dans le désir

La faille, roman en deux parties, derrière une métaphore simple révèle de nombreuses zones d'ombre tant chez le narrateur, Édouard, ancien procureur de la République (1), qui s'installe dans une vieille maison des Hautes-Alpes, que chez les deux précédents propriétaires (2), Gabriel puis Raoux.

Toutes les nuits, des trous s'ouvrent dans les murs de cette maison, qu'Édouard tente en vain de colmater.

La première partie du roman (plus exactement les 45 premières pages) est porteuse de la richesse de ces trois personnages, même si, heureusement, elle ne dévoile pas tout.

Gabriel s'était retranché derrière la notion de destin pour ne rien faire par rapport aux fissures qui apparaissaient dans la maison tandis que Raoux ensuite, s'il n’avait pas eu le courage de l'habiter, y avait logé ses chèvres, acte non négligeable compte tenu de l'importance que ses bêtes devaient représenter pour lui.

Derrière cette faille bien réelle, il y a le désir de trois hommes tiraillés par les nombreuses convenances sociales :

– Que recherchait Raoux auprès du père d'Édouard, le narrateur ?

– Derrière les verres d'alcool que boivent le père d'Édouard et Raoux, n'y avait-il pas une manière de se détruire quand on ne peut vivre pleinement tout ce que l'on ressent ?

– En voulant protéger son mari des méfaits de l'alcool, la mère d'Édouard ne voulait-elle pas reconnaître qu'il pouvait exister d'autres recherches de désir ?

– Édouard, enfant, qui sous les ordres de sa mère, allait rechercher son père au café, pouvait-il entr'apercevoir une autre vie possible pour son père ?

– L'idéalisme du père d'Édouard (tellement préoccupé par le bonheur de l'humanité) ne cachait-il pas sa propre incapacité à écouter ses propres désirs ?

– Que pouvait donc trouver Gabriel dans les nombreux livres qu'il lisait ? Et quels désirs vivait-il à travers ses lectures alors qu'il avait réduit sa vie sociale au strict minimum ?

– Que cherche Édouard en voulant habiter cette maison ?

Ces trois hommes ont d’autant plus d'épaisseur, que leur description, construite progressivement, reste parcellaire et qu'intervient ce jeune ingénieur des Ponts et Chaussées (appelé pour expliquer scientifiquement l'origine des trous), très cartésien et sans états d’âme (3).

Les trous dans les murs de sa maison se révèlent bien utiles dans le présent d'Édouard, puisqu'ils lui permettent de vivre – au moins – fantasmatiquement une relation avec l’ingénieur.

La seconde partie (plus exactement les 45 dernières pages) s'oriente sur des éléments plus factuels : elle s'articule sur le passé d'Édouard, sa vie étudiante, ses relations, quand il fait connaître son homosexualité, ses liens avec Baptiste (homosexualité refoulée de ce dernier ?), ses projets avec Karim….

Ces éléments n'arrivent pas à prendre la profondeur qui était présente dans les premières pages. Le vocabulaire assez cru rapportant certaines paroles entendues alors qu'il était étudiant, fait penser qu'Édouard est resté dans le même état que quarante ans auparavant, qu'il n’a pas reconstruit son passé au filtre de sa vie. Comme s’il avait été plus apte à apercevoir, enfant, la complexité des désirs des êtres humains qu'une fois adulte.

L'affaire judiciaire Baptiste (4) si elle est cohérente avec le passé de procureur évoqué plus haut, déçoit car elle fait oublier les belles pages du début où il est question du désir de trois hommes dont j'aurais aimé qu'il ne passe pas à la trappe de l’écriture.

1. Cette information est importante pour la seconde partie du livre.

2. J’ignore volontairement ici l'épisode des marseillais.

3. Si ce jeune ingénieur en a, le roman se garde bien d'y faire allusion.

4. Même si derrière l'affaire Baptiste, il est bien évidemment question de désir.

■ La Faille, Michel Aurouze, Éditions Le Publieur, 2003, ISBN : 2847840915


Le site de l'auteur


Du même auteur : Les deux Petits Chevreaux - Hibiscus

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