Un été sur le lac, Marcel Schneider
Lac calme le jour, tourmenté et fou la nuit, métaphore d'un amour absolu qui se veut pur. L'amour, pour garder sa luxuriance, doit-il être contrarié ? C'est la sempiternelle question qui se déploie en littérature.
Dans Un été sur le lac, l'amour romantique prend toute son ampleur. Une légère mais considérable différence : c'est de deux hommes qu'il s'agit : deux très jeunes hommes ; Edouard, le précepteur d'un été, et Victurnien, l'élève beau et sensuel.
Un château magnifique envahi par un immense lac (un ancien prieuré aux tombes englouties par les eaux), des fantômes, un monstre solitaire et son valet esclave et partageur d'étranges jouissances, des domestiques qui au coucher du soleil ressuscitent des bacchanales, une châtelaine digne et belle, une vieille aristocrate voltairienne, un prêtre investi par le démon... Tous les ingrédients du roman romanesque.
Et pourtant, il ne s'agit pas d'une chronique aristocratique du XIXe siècle puisqu'il est question d'une télévision qu'on n'ouvre jamais, d'un voilier ; sans oublier ces jeunes gens, qui sortis de table et déserteurs du salon, portent avec aisance le slip de bain et le jean. Je reconnais m'être laissé prendre au début, d'autant que les premières phrases coulent magnifiques, dans un style ample et délicatement suranné.
Marcel Schneider a un véritable pouvoir d'envoûtement en racontant ce qui traverse le temps, c'est à dire le rêve d'être emporté par une histoire d'amour, magnifique, insolite, impossible certes, mais qui s'offre le luxe des paysages et du décor, un conte pour adolescents en quelque sorte, comme ce jeune homme, Edouard, qui préfère les livres, l'étude à la lutte pour la vie.
Roman sentimental, certes, mais d'une écriture si maîtrisée qu'il s'offre le bonheur d'appartenir à la famille des Princesse de Clèves, où les phrases implacables de sobriété conduisent le lecteur pas à pas vers le drame, la tragédie feutrée des départs et des fuites, la savoureuse nostalgie de ce qui n'a pas été.
Après la brève étreinte où les corps se connaissent (presque) avec tant de fougue et de feu, Marcel Schneider ne plonge pas ses lecteurs dans la réalité des amours au quotidien. Une astuce qui lui permet de ne pas aborder le plus difficile dans les amours qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels : leur durée.
Il [Victurnien] saisit Édouard dans ses bras et se serra contre lui. Le contact de ce corps dont Édouard connaissait chaque muscle, chaque articulation, rendit le jeune homme presque insensé. Il couvrait les joues, les tempes, le cou de Vie de menus baisers, comme s'il voulait se repaître de lui, faire passer sa substance dans sa propre substance. Enfin il posa ses lèvres sur les lèvres de Victurnien et lentement s'enfonça dans cette bouche qui s'entrouvrait pour le recevoir. Quand il sentit la langue de Vie se presser sur la sienne, se tourner et se retourner, quand il sentit la bouche de Vie sucer ses lèvres, l'engloutir, il essaya de prolonger cette caresse jusqu'à la rendre infinie, éternelle. Ils vacillèrent et tombèrent dans les feuilles mortes, ils restèrent accrochés l'un à l'autre sans parvenir à se séparer. Édouard, plus mort que vif, essaya de profiter de la situation, mais Victurnien, plus entraîné à la lutte et d'ailleurs déterminé, l'immobilisa sur le sol, se pencha sur lui, pressa son visage contre son visage et lui dit à l'oreille :
— Adieu, Édouard. (pp.206-207)
■ Un été sur le lac, Marcel Schneider, éditions Grasset, 1989, ISBN : 2246407419
Du même auteur : Le guerrier de pierre - Histoires à mourir debout - L'éternité fragile (tome 1) - L'éternité fragile (tome 2) : Innocence et vérité (mémoires)