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Une chambre dans les bois, Patrick Drevet

Publié le par Jean-Yves Alt

Le héros est un tout jeune adolescent. David représente le fantasme absolu : pur, beau, sans expérience, il pressent l'amour mais ne sait pas lui donner forme. Une chambre dans les bois rassemble les images du rêve homosexuel le plus répandu, la très vieille histoire de l'amour grec : l'aîné initiateur délicat, le cadet dévoué et ébloui.

La passion est vécue du point de vue de l'enfant et la scène qui ouvre le roman en dessine immédiatement l'inflexible drame. David s'arrache pour la première fois à l'unique présence qui comble son besoin d'amour, la mère, et aperçoit celui qui devient l'intérêt exclusif de son été : William, un jeune homme blond et superbe, de quelques années à peine plus âgé, un adolescent lui aussi mais déjà hanté par le vertige adulte dont la guerre d'Algérie, qui fait de lui un déserteur, est le signe cruel.

Patrick Drevet a situé l'action du roman en France, loin du monde, dans une forêt où de virils compagnons épuisent leur force à abattre des fûts d'arbre tout-puissants qui sont la projection enracinée du père et de l'idéal masculin.

C'est l'été, les vacances, la mère est seule ; le père est mort ou parti depuis longtemps – militaire peut-être. La trousse de toilette récupérée dans l'armoire maternelle renferme un rasoir, inutile pour l'imberbe satin des joues de David, mais fera l'affaire de William. Tous les ingrédients sont en place. Rien ne pourra briser le déroulement de la passion.

David assiste à la masturbation solitaire de William somptueusement mise en mots :

« L'image lui reste, précise, d'une silhouette rejetée en arrière, prise dans les plis étirés de la combinaison kaki, se livrant au roulis d'une ivresse appelée, soumis au souvenir d'une rengaine qui l'enlace. Il revoit les épis dressés dans la chevelure blonde, le liséré de vif-argent soulignant le contour du nez, l'arrondi du menton satiné, la saillie de la pomme d'Adam. Cette image suffirait à nourrir longtemps sa rêverie, mais une force le pousse à regarder encore.

Campé sur ses jambes écartées comme s'il faisait face à un public dans une attitude de défi, William se déhanche, on dirait qu'il cherche par ce mouvement de balancier à desserrer un carcan, à achever de s'extraire d'un trou, à se dégager d'une gaine adhésive qui n'a de cesse de le retenir. La fermeture Eclair défaite ouvre une fente en V sur son torse. La lumière accuse le contraste entre le poli de la peau et les plis rêches du tissu. Les bras serrés le long des flancs, William plonge les mains au bas de son ventre où, glissant par pressions lentes et appuyées, elles malaxent une masse indistincte. Des contractions altèrent ses traits. Ses yeux fermés tracent deux lignes douces, profondes, mystérieuses. Sa mèche relevée dans la position renversée de la tête accuse ce que David avait déjà soupçonné de coléreux, de sévère en lui.

Un instant, il se rend compte que lui est accordé ce à quoi il a le sentiment d'avoir toujours aspiré, indépendamment même de William. Il était depuis longtemps en quête de cette scène dont, sans en prévoir la nature, il attendait de recevoir une peur profonde. Il ne pouvait souhaiter mieux que William pour la lui donner. Il ne pouvait avoir non plus de révélation plus explicite. Il se trouve devant la vision qu'il appelait de ses voeux, mais comme trop vite et de façon trop absolue pour qu'il n'en soit pas décontenancé. La coïncidence qui la lui permet relève du prodige, elle donne à sa vision le caractère suspect de la chance, elle ajoute à sa force l'impact de la fatalité. » (pp. 49-50)

C'est une chambre ouverte dans la nuit du plaisir si simple qui absorbe toute la violence des adolescents privés de jouissance, une chambre fermée sur l'orgasme masculin, une chambre retenue au jardin d'enfance : le roman se clôt sur le bruit de la moto de William qui fuit.

L'attirance réciproque de William et de la mère de David, décrite avec pudeur, offre une image différente du désir. William est-il homosexuel ? David sera-t-il homosexuel ? Le propos de l'écrivain n'en a cure.

Les mots et la voluptueuse cadence des phrases de Patrick Drevet ont pour mission de décrire le plus difficile : les émois sexuels, la lumière qui exalte la nudité des corps, l'attente, le frisson des rencontres, le frémissement du désir mais aussi la foi sans réserve de l'adolescent.

Le désir ne peut se satisfaire de ce qui est toujours exigé et qui finit par tracer sa maigre réalité : le sexe qui s'apaise et jette son sperme ! Le désir a besoin de la forêt, du soleil, des rivières, de tout ce qui flamboie et qui, volé par la mémoire, fera de l'étreinte finale, plus qu'un souvenir, une histoire d'amour.

« Il regarde le jeune homme dont les mouvements se font plus amples. Il le voit prendre une cambrure plus accentuée sous le pincement d'une douleur qui, venue d'entre ses jambes, irradie dans son buste. Le jeune homme se tord pour s'y soustraire ou l'éprouver davantage, on ne sait. Il bascule le bassin en avant, creuse le ventre, la peau tendue y frémit sous la paume comme sous la caresse d'une plume. Plus haut, sa main presse sur les mamelons des seins, sur la rondeur des épaules dont elle écarte les pans de la combinaison. Son visage offre l'expression d'une concentration extrême. Il fronce les sourcils, ses lèvres s'entrouvrent, ses traits tantôt donnent l'impression d'une torture tantôt se détendent, s'illuminent.

Balancement et rotation de son bassin acquièrent une amplitude plus marquée. Sa respiration précipitée s'échappe de ses lèvres en souffles chuintants. Le dessin de ses côtes transparaît sur ses flancs, ainsi que l'arceau de la cage thoracique sous lequel la paroi abdominale se creuse, formant un renfoncement où l'ombre vient se lover. Par à-coups réguliers, le jeune homme pousse son sexe dressé hors de l'encoche de la fermeture Eclair dans les anneaux de ses doigts serrés. Coulissant entre les phalanges, l'organe darde sa pointe violacée, vibrante, dégagée de sa gaine de peau que le va-et-vient alternativement plisse et étire jusqu'à la limite de la déchirure. Tout un réseau de veines et de vaisseaux engorgés sous le garrot des doigts sillonne le cylindre de chair.

Ecartant un peu plus les jambes et les ployant, tour à tour il se cabre, bombant le torse et incurvant au contraire les lombes, inscrivant un instant sa silhouette dans une contorsion de statuette votive, et, d'un puissant élan, projette son bassin en avant comme s'il voulait pousser tout son corps dans son sexe brandi. Il serre les dents, la colonne de la trachée s'exorbite dans son cou cassé, les muscles de la mâchoire saillent sous l'oreille, les méandres d'une veine se gonflent sur la tempe.

Le roulis profond de ses hanches s'accélère. On le sent qui obéit à la cadence d'un battement qui ne lui appartient pas. Il ne maîtrise plus le va-et-vient de sa main sur son sexe et ne saurait interrompre les contractions de plus en plus puissantes qui le convulsent. Emporté dans ce galop il semble un moment s'affoler, de petits cris rauques fusent à travers ses ahans. Une secousse le soulève et, comme dans une brusque envie de vomir, l'arque au-dessus de sa verge, elle-même arquée dans l'autre sens hors de la couronne des doigts qui l'étranglent à la racine. Sa tête bascule en avant, bouche ouverte sur un cri qui ne part qu'après que, du gland congestionné, a giclé un filet lactescent, jet d'écume fixé dans la lumière comme s'il y restait un instant suspendu. D'autres saccades amènent encore au bout du sexe pressuré des caillots de cette sève qui y perle avant de glisser et serpenter, avec des arrêts où ses coulées s'enflent de larmes, sur les phalanges. » (pp. 50-51)

■ Une chambre dans les bois, Patrick Drevet, éditions Gallimard, 1989, ISBN : 2070716678


Du même auteur : Les gardiens des pierres - Huit petites études sur le désir de voir - La micheline - Le visiteur de hasard - Le gour des abeilles - L'amour nomade

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