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La joyeuse bande d'Atzavara, Manuel Vazquez Montalban

Publié le par Jean-Yves Alt

Vous connaissez la différence entre un pédé et une pédale ? Vous donnez votre langue au chat ?

« Un pédé, eh bien ! c'est un pédé, un type qui aime les types et qui ne se croit pas obligé pour autant de se balader en roulant le cul comme Marilyn Monroe. Et une pédale, c'est un homme qui ressemble à une femme chichiteuse. » C'est Vincente qui le dit à Paco, au début du livre.

Mais qu'est-ce donc que cette joyeuse bande d'Atzavara ? Ils habitent Barcelone, ce sont des bourgeois, professeurs, bijoutiers ou artistes, qui se retrouvent l'été à Atzavara, un village au bord de la mer.

Les femmes divorcées… vivent difficilement le retour d'âge ; les hommes frisent la cinquantaine et assume tant bien que mal une homosexualité plus ou moins avouée. Lors de soirées bien arrosées de champagne espagnol à écouter de la musique américaine et à manger d'inévitables salades de riz, ils échangent leur ennui, leur vie vulgairement bourgeoise, leurs échecs et leurs espoirs mesquins. Les soirées finissent parfois en partouze.

Montalban (avec une écriture rapide, des dialogues percutants, un langage quotidien, des images insolites, une construction cinématographique) raconte avec ironie et humour un été à Atzavara. L'été 74. Eté historique durant lequel le vieux dictateur agonise (Franco mourra un an après), ce qui donne tout son sens au roman. Des années plus tard, quatre personnes ayant participé aux chaudes soirées d'Atzavara se souviennent et analysent a posteriori les faits. La joyeuse bande en question n'a pas été particulièrement active. Elle n'a pas lutté pour la fin du franquisme. Elle a refait le monde en paroles, tout en restant dans un monde protégé.

Parmi la bande d'Atzavara, deux personnages, Vincente et Paco, fils d'ouvriers perdus parmi ces gens excentriques, respirent le naturel, l'innocence. Quand Paco découvre qu'il se trouve au milieu d'une bande d'homos et que Vincente, son ami d'enfance, est pédé, c'est la déception et la rage, ce qui vaut des notations tordantes sur sa conception de l'homosexualité :

« On est cuisinier par instinct comme on est pédé par instinct, et, tiens, les enfants un peu bizarres, très vite, se montrent attirés par des occupations de femmes, la couture, la cuisine, et si je me trompe, qu'on me dise ce qu'il faut penser lorsqu'on demande à un enfant ce qu'il voudrait faire quand il sera grand et qu'il répond : "couturier". Horreur. »

Atzavara, petit village balnéaire est l'espace clos dans lequel se tissent les intrigues, les regrets et les infidélités. Jour après jour, le lecteur découvre la vie de quelques privilégiés, leurs jeux, leurs conversations de plage, leurs murmures nocturnes et leurs pensées intimes ; comme encore celle-ci de Paco :

« Les pédales vieillissent mal. On dit que rien n'est aussi triste qu'un vieux pédé. Vincente ne l'était pas par instinct, je ne crois pas. Plutôt de ceux qui à trop vouloir tout essayer tombent dans le vice. Et aussi il y a des gars qui vont tellement aux putes, tellement, qu'ils finissent par détester les femmes et qu'ils s'en fichent d'être à voile ou à vapeur. On ne gagne rien de bon à vouloir se singulariser ou à être trop glouton. »

Leçon de morale bon marché de l'hétéro de service effrayé par tant de libertinage. Paco est un personnage touchant qui représente, dans cette joyeuse bande d'Atzavara, le bon sens près de chez nous. Tombé comme un cheveu sur la soupe, il en a vu de bien belles : garçons enlacés, nuits torrides, corps impudiquement nus, libertinage verbal... Pourtant, l'anticonformisme connaît des limites même pour les esseulés d'Atzavara. Un des dialogues clés du roman n'est-il pas :

« J'arrête. Ce pourrait être dangereux. »

Au-delà du discours politique [l'homosexualité comme symbole de la fin du franquisme], la chronique de ces joyeux lurons scandaleusement homosexuels, comme le dit un des personnages du roman, est d'une drôlerie toute espagnole.

Après lecture du livre, il est difficile de comprendre la couverture : que vient faire cette femme à demi dénudée assise sur un sofa ?

■ La joyeuse bande d'Atzavara, Manuel Vazquez Montalban, éditions du Seuil, Collection Points, 1996, ISBN : 2020262037

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