Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Oublier Venise, un film de Franco Brusati (1980)

Publié le par Jean-Yves Alt

N'attendez pas de voir Venise et ses pigeons, la ville est un fantôme où les héros n'iront jamais, car Venise est pour Franco Brusati le passé qu'il faut oublier pour sortir de l'immaturité, pour atteindre enfin au réel.

Marta (Hella Petri) ancienne cantatrice d'opéra, accueille dans sa villa proche de la cité lagunaire son frère Nicky (Erland Josephson) et son jeune ami Picchio (David Pontremoli). Vivent auprès d'elle sa presque nièce Anna (Mariangela Melato) et l'amie de celle-ci, Claudia (Eleonora Giorgi). Les résurgences du passé envahissent régulièrement Nicky et Anna, jusqu'à la mort de Marta, qui semble être une libération pour eux.

Après le décès de Marta, Nicky reste dans la maison de sa sœur tandis que les trois autres rejoignent celle des deux hommes. Suivent d'innombrables souvenirs d'enfance téléphonés, dévoilant les sentiments d'insuffisance de chacun.

En recourant aux symboles et canons freudiens et en présentant deux couples homosexuels comme représentatifs d'un conflit entre immaturité et maturité, Franco Brusati tire, certes, sur de vieilles ficelles. Pourtant il réussit à approcher la complexité des relations humaines où se mêlent rapports amoureux, amicaux, familiaux… bouleversés par le temps qui passe. A cela s'ajoute l'énorme difficulté pour se soustraire à leur imbrication.

Nicky et Picchio forment le couple du reflet, du narcisse. Nicky en est la tête esthète et Picchio les jambes robustes. Chez le couple de femmes, on retrouve cette symétrie : Anna est la saine fermière et Claudia la fragile institutrice : le code est rebattu mais il permet de mettre en valeur la fuite du temps, la fin de la jeunesse et la mort qui approche.

Si les deux couples homosexuels semblent dépourvus de sexualité – aucune scène ne montre le moindre rapport amoureux entre eux –, c'est que le sujet du film est ailleurs : les rôles d'incomplétude des personnages apparaissent comme le signe qu'ils ont déguisés la réalité pour suivre leurs rêves.

Un film magnifique, très proustien, avec une esthétique sensible des images.

Ce film, où le présent s'affronte aux souvenirs embellis, montre l'impact d'un regard apitoyé et moralisateur sur le passé. Excellent pour réfléchir sur les effets néfastes de la nostalgie.

Cette enfance dorée vécue dans le souvenir, dans une sorte de temps mythique, m'évoque les vers de Sandro Penna : « La jeunesse n'est rien d'autre peut-être / qu'aimer toujours les sens et ne pas s'en repentir. »

Commenter cet article