Queer, W. S. Burroughs
On chercherait en vain, dans ce roman de W.S. Burroughs, une ombre d'intrigue, la moindre piste cohérente à quoi puisse s'accrocher le lecteur.
D'inspiration autobiographique, Queer est le récit halluciné d'une errance, d'un mal de vivre incurable qui a pour toile de fond un Mexique obsédant, ses étendues de tôles ondulées abritant putains, maqueraux, toute une faune pittoresque et violente.
« Mon passé est un fleuve empoisonné auquel j'ai eu la chance d'échapper, mais par lequel je me sens menacé d'être submergé, des années après en avoir relaté les événements marquants » (pp.19-20), confie l'auteur dans sa très belle introduction, Faisant suite à Junkie, son premier roman, Queer est essentiellement une peinture du manque, le récit d'une douloureuse tentative de sevrage.
Lee, héros désenchanté, traîne de bar en bar, noyant son désespoir dans l'alcool, dans la drague, à la fois avide et indifférent, spectre sur qui l'on sent constamment peser la menace d'une dissolution. Son seul repère : Allerton, jeune homme indolent jaloux de son indépendance, mais aussi secrètement flatté d'être l'objet d'une si brûlante convoitise.
En effet, Lee est homosexuel, vit son homosexualité comme une déchéance, malgré, ça et là, des éclairs de défi. Obstinément, malgré les rebuffades essuyées, voire le mépris dont il est parfois l'objet, Lee dépense tout ce qui lui reste d'énergie à courtiser cet insaisissable Allerton.
A force de séduction, de prévenance et de ténacité, il parviendra à décider son compagnon à coucher avec lui (en tout bien tout honneur) ; puis à l'accompagner dans une bien étrange expédition, à travers l'Amérique du Sud, à la recherche d'une mystérieuse drogue, le Yage, doué de pouvoirs télépathiques.
Par-delà son exotisme sulfureux, sa peinture d'un délire si bien accordé aux exubérances tropicales, ce roman est la remarquable radiographie d'une détresse sans autre recours que l'écriture, vaccination préventive.
■ Queer de W. S. Burroughs, éditions Christian Bourgois, 1986, ISBN : 226700478X