Les nuits fauves, un film de Cyril Collard (1992)
Jean, double exact du réalisateur, tâtonne vers sa jouissance, vers sa sauvegarde, vers le lieu introuvable de l'amour.
Il y avait danger de l'autobiographie : Cyril Collard – en étant le centre et le protagoniste fictionnel de son propre drame – ne s'est pas dérobé au nombrilisme. Il le revendique et l'assume. Le narcissisme, chez Collard, n'a rien d'un repliement compulsif : il s'exhibe, sous les traits d'une extraversion souvent brouillonne, parfois complaisante. Moins une confession qu'un cri, en somme.
Du roman auquel elle emprunte son titre, le ton de cette adaptation est sensiblement différent : Cyril Collard a donné à son film un humour, une alacrité, qui tire les larmes vers le rire.
Les nuits fauves, ce n'est pas un film sur le sida mais dans le sida. La maladie n'y occupe son histoire, que de façon souterraine, subreptice, un peu comme ces lames de fond que la surface des eaux méconnaît, mais qui, finalement, auront le dessus.
Si l'on tient absolument à découper le film en morceaux, il y a l'histoire de Jean et de sa séropositivité, et des premiers signes cliniques de sa maladie ; l'histoire conflictuelle de Jean avec Samy (Carlos Lopez), petite frappe magnifique, caractérielle et perdue ; celle de Jean encore avec la fraîche et psychotique Laura (Romane Bohringer) ; de Jean avec ses parents ; de Romane avec sa mère ; de Romane avec Jean et avec Samy ; de Samy comme cas social...
Les nuits fauves, c'est un déballage torrentiel d'existences imbriquées, de destins contraires, de passions impossibles, de pulsions amères : pivot de ces chassés-croisés, Jean, le seul qui, dans le film, n'exerce jamais qu'un job improbable de réalisateur. Entre deux tournages supposés, il ne travaille qu'à se faire aimer, sans répondant : par Laura, perdant son job dès le début ; par Samy quittant sa journaliste abusive, pour réfugier chez lui son mal de vivre.
Les femmes, jusqu'au bout, sont toutes et tout entières jalouses, possessives, sournoises entre elles, hystériques, convulsives, méchantes, gouvernées par leur exigence absolutiste d'amour, de haine, de rage passionnelle.
Les garçons, eux, penchent du côté de l'indifférence dépressive, fugacement enfiévrée d'instinct basique. Aussi bien Jean, à travers ses débauches masochistes sur les quais d'Austerlitz ou ses piteuses tentatives de triolisme, que le rugbyman des banlieues Samy, jusque dans ses perditions idéologiques (vers la fin, le loubard vire au nazillon évangélisé et casseur d'Arabe).
Ingénieusement, la bisexualité, comme la séropositivité de Jean, sont amenées dans l'intrigue incidemment, sans préambule ni poncifs.
Le nœud du drame personnel de Jean se situe là où l'amour entre hommes se fait impossible, tandis que la Femme, elle, reste étrangement disponible à l'amour. Quelle candeur aussi dans l'acharnement à arracher le Garçon à la Femme : Jean ira ainsi jusqu'à entraîner Laura sur le lieu emblématique de ses dragues noctambules, baigné pour l'occasion d'une lumière d'épiphanie. Pour autant, Samy n'est jamais pour Jean qu'un pur spasme érotique. D'où le vœu qui s'exprime, au milieu de l'action, dans cette réplique qui est certainement une phrase clef du film : « Jean, ce virus peut te rendre capable d'aimer. »
Le sida est ainsi rendu à quelque prétendue vertu propitiatoire, le sida comme accomplissement amoureux. Chacun se sauve comme il le peut, quitte à exorciser sa douleur par l'égotisme, en évacuant l'inacceptable. C'est l'équivoque la plus gênante de ces Nuits fauves. Qui Cyril Collard a-t-il voulu réconforter en dehors de lui-même ? En attribuant au sida une ultime raison et un sens moral, il a donné une triste leçon.