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Répression des sodomites aztèques (1/2)

Publié le par Jean-Yves Alt

Au XVIe siècle, les prêtres et conquérants du Mexique ont soupçonné les Aztèques des vices les plus monstrueux. En particulier, la sodomie.

À la veille de la conquête espagnole, les Aztèques dominaient la majeure partie du territoire du Mexique actuel. Leur empire, limité à l'est et à l'ouest par les océans Atlantique et Pacifique, s'étendait des steppes arides du Nord jusqu'aux forêts tropicales du Guatemala. Cet ensemble politique de formation récente regroupait des populations de langues et de civilisations diverses.

L'arrivée en 1519 des Espagnols allait entraîner l'effondrement de la civilisation aztèque. La supériorité militaire des conquérants (chevaux et armes à feu) et surtout le soutien de populations indigènes désireuses de se libérer du pouvoir aztèque expliquent la défaite de cet immense empire.

Le 13 août 1521, Hernan Cortes et ses troupes s'emparaient, après un long siège de la capitale, Mexico-Tenochtitlan, et se trouvaient à la tête du plus puissant empire de l'Amérique.

De nombreux récits de la conquête du Mexique par les combattants de la très catholique Espagne insistent sur les vices des Indiens. L'anthropophagie, la pratique des sacrifices humains et l'ivrognerie sont associées avec l'accusation d'homosexualité dans une même dénonciation globale de l'ancienne civilisation mexicaine.

Il existe pourtant face au discours des conquistadores, une littérature provenant des missionnaires qui vise à revaloriser le monde indigène. Les missionnaires européens et notamment les franciscains pensèrent réaliser avec les Indiens le royaume chrétien millénaire promis par les saintes écritures (référence à L'apocalypse de saint Jean où il est question de l'installation sur terre du royaume de Dieu pour mille ans). Dans leurs ouvrages, ils transcrirent des faits, en opposition complète avec ceux des conquistadores : les indigènes considérant la sodomie comme un péché très abominable, et ne mangeant pas de la chair humaine.

Entre ces discours opposés et ces jugements globalisants et polémiques, comment approcher la réalité de l'homosexualité précolombienne ?

À l'époque de la conquête, la langue la plus répandue au Mexique était la langue nahuatl ou aztèque. Parmi le vocabulaire consacré à l'homosexualité, on trouve les mots suivants : cuiloni, chimouhqui, cucuxqui pour l'homosexuel passif ; tecuilontiani pour l'homosexuel actif et cuilontia pour l'acte homosexuel. Le terme tzintli, anus, était utilisé pour insulter les homosexuels. Les dictionnaires des langues indigènes fournissent rarement des mots relatifs à l'homosexualité féminine.

Le système éducatif précolombien et notamment la vie commune menée par les adolescents dans les temples-écoles suscita des accusations dont Bartolomé de Las Casas (ce dominicain consacra sa vie à la défense des natifs de l'Amérique) s'est fait l'écho : « Et c'est une grande fausseté et un témoignage pernicieux que portent certains Espagnols que les jeunes gens qu'il y avait dans les temples commettaient ensemble le péché abominable ».

Il existait dans les cités de l'empire aztèque deux types d'enseignement. L'un destiné aux futurs guerriers était prodigué dans les telpochcalli, maisons de jeunes gens. L'autre, plus sévère, devait former les prêtres qui se regroupaient dans les calmecac, temples-écoles de prêtres.

Sur les telpochcalli, un informateur indigène déclare : « Aucun des jeunes gens ne rentrait chez lui, aucun ne dormait chez lui. Pour mieux dire, ils allaient directement aux telpochcalli qui se trouvaient en divers lieux ; là, ils dormaient étendus, presque nus. » On sait, par ailleurs, qu'au cours de certaines fêtes religieuses, ces jeunes élèves étaient autorisés à danser avec des courtisanes. En revanche, des précautions étaient prises, la nuit, dans les calmecac afin d'éviter toutes relations entre jeunes élèves : « Ainsi dormaient les élèves des calmecac : aucun ne s'étendait près d'un autre, tous étaient isolés, aucun ne s'enveloppait dans une couverture avec un autre. » Malgré la surveillance nocturne des maîtres, des relations homosexuelles entre jeunes élèves se sont très probablement produites. Nous verrons, plus loin, que des châtiments particulièrement cruels étaient réservés aux contrevenants.

Si les informations concernant le monde aztèque sont peu explicites, en revanche, il existe pour la région de la Vera Paz (Guatemala), un témoignage plus précis sur l'homosexualité à l'intérieur des temples-écoles : « ... afin qu'ils soient instruits en religion, ils (les parents) les envoyaient dormir dans les temples où les jeunes plus âgés corrompaient les enfants de ce vice (la sodomie), et ensuite, sortant de là avec ces mauvaises habitudes, il était difficile de les délivrer de ce vice ». L'auteur de ces lignes n'est autre que Bartolomé de Las Casas. Son récit n'est donc pas inspiré par des mobiles diffamatoires. La valeur de ce document est renforcée par l'excellente connaissance que le dominicain avait de cette région. En effet, il vécut parmi les Indiens Mayas du Guatemala qu'il essaya d'évangéliser.

À partir de ce texte, on ne peut s'empêcher d'évoquer la ressemblance de ces pratiques homosexuelles avec celles, bien connues, du monde grec antique. Cela dit, s'agissait-il de relations homosexuelles institutionnalisées ? De rituels d'initiation visant à intégrer les nouveaux venus dans le groupe d'élèves ? Ou simplement d'amitiés particulières plus ou moins répandues ? Bartolomé de Las Casas déclare que les parents réprouvaient ces agissements. La majorité des auteurs, religieux le plus souvent et admiratifs de la rigueur de l'éducation précolombienne, insistent sur les peines sévères qui s'abattaient sur les élèves homosexuels : « Les prêtres, les vieillards et les nobles se réunissaient dans une salle du temple, chacun d'eux ayant dans la main un tison ardent, et ils mettaient le délinquant (successivement) devant chacun d'eux et le premier lui faisait une grande réprimande en disant : "Oh scélérat ! Comment as-tu osé faire dans la maison des dieux un si grand péché ?" (il s'agit, bien sûr, de la sodomie) et d'autres paroles très dures ; ayant terminé, il lui donnait avec le tison un grand coup, et chacun d'eux faisait de même. Ensuite, ils le sortaient du temple et le remettaient aux jeunes gens afin qu'ils le brûlent et, ainsi, ils le brûlaient. »

Tandis que les missionnaires s'émerveillaient des pratiques ascétiques des prêtres indiens, les conquérants les ont accusés d'être sodomites.

 

Les coutumes sexuelles de la noblesse précolombienne sont mal connues. On peut cependant glaner quelques informations concernant la ville de Tezcoco qui, alliée à Mexico, dominait l'empire aztèque. Nezahualcoyotl, le roi de cette cité promulgua plusieurs lois réprimant les délits d'adultère et d'homosexualité. Il eut un fils qui fut accusé du péché abominable. Il fut condamné à mort, son père confirmant la sentence et l'exécutant lui-même. Cet acte spectaculaire qui aurait dû limiter la sexualité de la noblesse, n'a apparemment pas eu d'effets dissuasifs durables puisque Nezahualpilli, successeur de Nezahualcoyotl, « par raison naturelle et grâce à de bons penchants, haïssait le péché abominable et vu que les autres caciques (nobles) le permettaient, il ordonna de tuer ceux qui le commettaient. » Cette information confirme la persistance de la noblesse dans ses attitudes sexuelles malgré la répression. Il a donc existé une période de relative liberté en matière sexuelle au moins parmi les hautes classes de la société.

À partir de 1430 environ, avec Nezahualcoyotl puis Nezahualpilli, l'affirmation du pouvoir royal se caractérise par un contrôle de plus en plus strict des populations y compris dans le domaine de la sexualité. Ce phénomène se retrouve dans d'autres régions du Mexique, à peu près à la même époque et se manifeste par la mise en place d'une législation répressive à l'égard de toute déviance sexuelle.


Lire : Guilhem OLIVIER, Conquérants et missionnaires face au « péché abominable », essai sur l'homosexualité en Mésoamérique à la veille de la conquête espagnole, Revue Caravelle, cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, Université de Toulouse le Mirail, n°55, 1990, pp.19-45


Les citations sont extraites de l'article de Guilhem Olivier.


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