Une princesse à Versailles, Anne-Sophie Silvestre
C'est l'histoire d'un mariage arrangé entre Elisabeth-Charlotte de Bavière, princesse Palatine et "Monsieur", frère de Louis XIV.
La princesse, narratrice de sa propre histoire, découvre, petit à petit, les exigences que lui confère ce mariage : les goûts de son mari pour les hommes, la polygamie du roi et toutes les intrigues qui peuvent tourner autour d'amours déçus.
Elle entretiendra pourtant avec "Monsieur" d'excellentes relations, ne se mêlant pas de ses habitudes. Ce dernier en ressentira une véritable gratitude, si bien que tous ses amis la respectèrent. L'auteur, Anne-Sophie Silvestre arrête là son récit sur ces années de relatif bonheur.
Un dernier chapitre, en appendice, informe sur la suite de la vie de la princesse Palatine : il s'agit alors d'années beaucoup moins gaies.
Des extraits de la correspondance échangée entre la Princesse Palatine et sa tante en Bavière, au fil du roman, permettent d'approcher au mieux ce pan véridique de l'Histoire.
Ce récit n'a certes pas de grandes qualités d'écriture : le texte semblant hésiter en permanence entre le roman et le documentaire. Néanmoins, je salue le courage de l'auteur pour avoir enfin abordé - sans aucune pudibonderie - les désirs de ces grands personnages de l'Histoire. Une lecture à proposer aux jeunes lecteurs, dès 12 ans.
EXTRAIT :
— Ma tante, vous avez parlé deux fois de ces compagnons..., de ces amis de Monsieur. Ont-ils tant d'importance ?
Ma tante Sophie regarda ses mains posées sur sa robe, puis elle leva les yeux sur moi :
— Vous venez de mettre le doigt sur la question la plus importante. Et c'est bien de cela dont je veux vous parler depuis tout à l'heure.
Elle se recueillit un instant :
— Liselotte, il faut que vous le sachiez. Monsieur a, si l'on peut dire ainsi les choses, des mœurs italiennes...
Toute mon inquiétude s'éveilla. «Les mœurs italiennes...» J'en avais déjà entendu parler, mais sans jamais parvenir à savoir exactement de quoi il s'agissait. Je savais que cela concernait les hommes, que c'était mystérieux et scandaleux, et que c'était un sujet qu'on n'abordait pas devant les jeunes filles.
— Cela signifie, poursuivit ma tante, que Monsieur préfère la compagnie des hommes à celle des femmes. Et aussi qu'il a un goût exagéré chez un homme pour les parures et les bijoux. Rien de bien méchant dans tout cela, et Monsieur n'est pas un débauché. Au moins, il ne vous fera pas souffrir en s'entourant de maîtresses et de favorites... Mais il faut que vous sachiez qu'il aime réellement ses amis et qu'il a besoin d'eux. La seule chose que vous ne devrez jamais faire, ma Liselotte, c'est d'essayer de changer Monsieur ! Accommodez-vous de lui comme il est. Et ne vous opposez pas à ses amis. S'ils voient en vous un danger, ils vous rendront la vie très difficile.
J'y aurais bien songé toute seule. Je suis d'un naturel conciliant et je n'allais pas épouser le deuxième seigneur français pour lui faire la guerre. Je sais de quoi je parle. J'ai eu des parents terribles. Tout enfant, avant de venir vivre à Hanovre auprès de ma tante, je les ai vus, littéralement, s'étriper. J'entends encore les cris, les injures et les bruits de soufflets passer à travers les portes fermées de leurs appartements. Je déteste par-dessus tout les disputes entre époux et je suis bien décidée à n'en avoir jamais. Mais je voulais en savoir plus sur cette question des mœurs italiennes :
— Ma tante, qu'est-ce qui donne ces habitudes à un homme ?
— Chez certains, c'est dans leur nature. Ils naissent ainsi, comme ils naissent blonds ou bruns, ou grands, ou petits. C'est le cas de Monsieur. D'autres pratiquent ces mœurs par provocation ou par intérêt. Par exemple, le chevalier de Lorraine qui a été longtemps le meilleur ami de Monsieur. Mais de celui-là, vous n'avez rien à craindre. Le roi, fatigué de ses méchants tours et de sa langue de vipère, l'a envoyé bien loin de la cour. Il se trouve en ce moment à Rome, je crois...
Ma tante se leva pour redresser une bougie qui s'était coudée et qui coulait sur la cheminée.
— On aurait pu, dit-elle en se rasseyant dans un grand bruit de frou-frou, à l'âge de l'adolescence, décourager Monsieur de ces habitudes. D'autant plus facilement que c'était un garçon vaillant, plein de goût et de talent pour les choses militaires. Mais on ne l'a pas fait. Je dirais même qu'on a encouragé autant qu'on a pu cette inclination vers les mœurs italiennes.
J'ouvris de grands yeux :
— Qui, « on » ?
— Sa mère, la reine Anne d'Autriche, et son premier ministre, le cardinal de Mazarin. On lui a choisi pour compagnons les garçons les plus à même de le pousser sur cette pente.
— Mais pourquoi ?
— Pour qu'il ne fasse jamais d'ombre à son frère aîné. Les frères cadets des rois, trop beaux, trop vaillants, trop populaires, trop révoltés d'être nés si près du trône et de ne pas s'asseoir dessus, ont souvent été les boutefeux de guerres entre Français. Pour éviter que cela n'arrive un jour avec Monsieur, la reine mère et Mazarin ont employé les grands moyens. Ils estimaient sans doute que la grandeur du royaume était plus importante que le bonheur d'un jeune garçon.
Je demeurai silencieuse. Cette raison d'État qui broyait les gens comme du grain dans un moulin me paraissait une chose effrayante. (page 28 à 31)
■ Une princesse à Versailles, Anne-Sophie Silvestre, Castor-Poche Flammarion n° 950, 2003, ISBN : 2081624281
Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualité.com