Clandestin, James Ellroy
Un roman policier qui a d'abord le mérite de ne pas ménager sa peine : le suspense, les descriptions, la subtilité des analyses psychologiques ne sont jamais gratuits mais les ingrédients parfaitement amalgamés d'une fiction où l'intérêt du récit va crescendo.
Le personnage principal, qui est le narrateur à la première personne, Frederick Upton Underhill, flic de vingt-six ans dans la dernière saison de [sa] jeunesse, est un vrai personnage de roman, courageux et vulnérable, amoureux d'une femme handicapée, ami d'un flic poète mort trop tôt dans l'exercice de son devoir. Bref un homme tendre et attachant, capable d'erreurs et de remords.
Underhill est un homme qui pense, qui doute, qui aime et le choc qui change sa vie arrive très tôt dans sa carrière sous l'aspect le plus étrange, celui du très bel Eddie Engels, homosexuel curieusement coureur de femmes : Eddie si séduisant que l'interrogatoire se disloque.
Eddie Engels est donc supposé homo, donc ennemi des femmes, donc meurtrier des femmes. Les choses vont vite quand la morale et les conventions offrent, dès l'arrestation, toutes les bonnes raisons d'avoir trouvé le bouc émissaire sinon le meurtrier sadique.
L'agent de police Underhill veut la justice, même si le chantage peut permettre de démasquer l'assassin... Et le drame va se produire lorsque le suspect va subir un terrible interrogatoire :
« Eddie, dis-je, tes parents savent-ils que tu es homosexuel ?
─ Non.
─ Tu ne veux pas qu'ils le découvrent, n'est-ce pas ?
─ Non !
Il hurla le mot, d'une voix perçante qui se brisait. Il s'enveloppa de ses bras et se mit à se balancer d'avant en arrière.
─ Nous pouvons leur épargner ça, Eddie, dis-je. Tu peux avouer pour Margaret... Écoute-moi, je suis ton ami. »
Eddie va reconnaître le meurtre. Pourtant il est innocent... Et l'agent de police Underhill ne comprend pas, ne devine pas, que l'homme préfère la chaise électrique au déshonneur familial : plutôt passer pour un tueur de femmes que se dire pédé ! Tragique erreur de l'enquêteur, terrible engrenage engendré par des valeurs sociales et morales absurdes et dangereuses.
James Ellroy analyse avec une intelligence et une perspicacité remarquables toutes les nuances d'un processus de l'erreur, quand le policier se sent inconsciemment (ou consciemment) soutenu par la morale ambiante.
Clandestin est, à ce titre de dénonciateur de la société homophobe, un livre magnifique. Mais en plus, l'art d'Ellroy est de placer l'homosexualité dans la trame générale de son récit, avec en parallèle toutes les dérives ordinaires d'individus – homos ou hétéros – en quête de paradis : il ne met pas les méchants d'un côté et les bons de l'autre, mais montre ce manège des faibles, des peureux où les salauds côtoient les fragiles sans oublier que la fragilité parfois conduit à la saloperie, dans un monde où le vice n'est que le cri inversé d'une plus grande espérance.
« Clandestin » : un destin d'homosexuel, un très grand polar qui rend compte d'une époque, de vies brisées, de drames. Rarement un hétérosexuel aura aussi bien parlé de l'homosexualité masculine...
■ Clandestin, James Ellroy, Editions Rivages/Noir, 1990, ISBN : 2869303742
Du même auteur : Le dahlia noir - Le grand nulle part