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Richelieu et Louis XIII vus par Michel Carmona

Publié le par Jean-Yves Alt

Michel Carmona a publié un remarquable Richelieu qui ressuscite le personnage fabuleux que fut le premier conseiller de Louis XIII. Cette étude a le double mérite de captiver le lecteur par sa force d'évocation et de rendre justice à celui qui reste sans doute l'un des plus grands personnages politiques de tous les temps.

Armand-Jean du Plessis de Richelieu, futur cardinal de Richelieu, naquit le 9 septembre 1585. Seize ans plus tard, le futur Louis XIII venait au monde en même temps que ce XVIIe siècle qui vit se consolider la monarchie absolue. Richelieu est sacré évêque en 1607, il a vingt-deux ans. Evêque de Luçon, il attend 1617 pour être nommé chef du conseil de Marie de Médicis et il a trente-sept ans quand il devient cardinal. A trente-neuf ans il entre au conseil du roi. Pour l'époque il est vieux. Pendant dix-huit ans, il servira Louis XIII.

Destin étonnant que la vie de ce célibataire rongé par l'ambition, voué corps et âme à la suprématie du pouvoir royal. Intelligent et fragile, Richelieu tissera, crime après crime, cette image du monarque de droit divin dont Louis XIV, via Mazarin que Richelieu avait choisi pour lui succéder, mettra définitivement en plein soleil sur cette scène européenne où les grands se donnent en spectacle à eux-mêmes, dans l'amoralité la plus totale.

Un siècle d'histoire se greffe sur la personne de Richelieu. Michel Carmona a compris qu'il faut retrouver l'avènement de Henri IV (né le 14 décembre 1553) pour saisir le rôle du cardinal et attendre la mort de Louis XIII et l'avènement de Louis XIV (14 juin 1643) pour en déceler le projet.

Un siècle d'histoire où le roi doit vaincre les grands (et d'abord sa famille) et les monarques étrangers, tous cousins ou parents par alliance. La noblesse est, imbue de ses origines guerrières. Elle ne se laisse pas facilement domestiquer. Richelieu, qui n'est que de petite souche, aura beaucoup de mal à discipliner l'arrogance des aristocrates. La guerre la plus longue sera celle que Louis mènera contre sa mère, Marie de Médicis, immense personnalité aimée et crainte de son fils. Puis il faudra ramener à la soumission Anne d'Autriche, femme de Louis XIII, Gaston d'Orléans, frère du roi et, régulièrement, une faction de nobles, mouvante et impertinente, qui se rallie successivement aux membres dissidents de la famille royale.

Les complots se succèdent contre le roi lui-même et contre Richelieu. Richelieu ne tient sa force que du roi comme il tient son accession au pouvoir de Marie de Médicis qu'il trahira. Il sait que seule la mort de ses ennemis le sauvera. Sa vie fut sans cesse ensanglantée de ces assassinats nécessaires. Perpétuellement malade, anxieux et prodigieusement lucide, Richelieu tiendra à bout de volonté un monarque renfermé, prude et coléreux... Il voudra la guerre contre l'Europe entière. Il œuvre pour la royauté et non pas pour un homme qu'il sait voué à la mort, un homme d'ailleurs que Michel Carmona réhabilite : Louis XIII. Roi à quatorze ans, il ne fut pas si incompétent qu'on le laisse croire. Il sut reconnaître en Richelieu, qu'il n'aimait pas, un homme de valeur. Il le soutiendra, jusqu'à sa mort, contre la vindicte des nobles et des croquants.

La connivence entre les deux hommes est grande mais Richelieu sait que le roi a besoin d'une présence affective, d'un confident du quotidien, rôle qu'il ne peut pas assumer. Cinq-Mars a seize ans quand Richelieu le remarque. Il en fait une de ses « créatures », comme on appelait les individus soumis. Louis XIII n'a pas de maîtresse, ses favorites sont des « amies ». Richelieu se méfie d'une certaine de Hautefort car ces dames ne sont pas inactives et profitent de la confiance du roi (faute de son lit) pour le gagner aux manigances de la reine et de sa préférée, la veuve du tout premier favori de Louis XIII, de Luynes...

Pour évincer Melle de Hautefort, Richelieu, dans une exquise lucidité, place près de Sa Majesté le beau page Cinq-Mars qui reçoit des instructions très précises. Le roi finit par remarquer ce beau garçon qui a tous les atouts de la jeunesse et de la beauté.

Grand maître de la garde-robe, Cinq-mars finira par devenir indispensable au monarque. Il gravira très vite tous les échelons des faveurs royales. Jeune fou, il aura l'audace de s'enfuir la nuit pour retrouver la grande courtisane du siècle : Marion Delorme... Il rend le roi jaloux mais se montre très exigeant, trop.

Le roi est agacé, troublé. Richelieu n'est plus obéi par Cinq-Mars devenu ambitieux. Avec son ami de Thou, le favori se laisse circonvenir par les nobles rebelles. Ils fomentent l'assassinat de Richelieu. Ce dernier est prévenu. Il obtient du roi la condamnation à mort, en place publique, de son Cinq-Mars et de son acolyte de Thou. Ils mourront laissant le souvenir d'une tragédie. Pour Richelieu, ils succombaient au devoir d'Etat qui fait disparaître tout ce qui nuit à la suprématie monarchique. Louis XIII en a-t-il souffert ? La sensibilité de l'époque pouvait-elle être meurtrie par l'amour, par la mort ?

La relation entre le roi et son favori s'accomplissait-elle dans un rapport sexuel ? Michel Carmona précise que les textes qui font allusion aux relations sexuelles entre Louis XIII et Cinq-Mars sont de deuxième main. Saint-Simon et Tallemant des Réaux racontent ce qu'ils ont oui dire !

« On m'a dit aussi qu'en je ne sais plus quel voyage, le roi se mit au lit dès sept heures... Il envoya déshabiller Monsieur le Grand (titre de Cinq-Mars), qui revint paré comme une épousée : "Couche-toi, couche-toi", lui dit-il plein d'impatience... Et ce mignon n'était pas encore dedans qu'il lui baisait déjà les mains. »

Ce qui est sûr – et des lettres de Louis XIII l'attestent – c'est le besoin de plus en plus grand que le roi eut de ce garçon de vingt ans :

« Je m'en vas à la chasse, étant dans un tel chagrin que je ne prends plaisir à rien. La reine se porte toujours bien et espère-t-on plus que jamais qu'elle sera grosse. Je me raccommodais hier au soir avec Monsieur le Grand. J'espère qu'il sera plus sage à l'avenir. »

Le livre de Michel Carmona est une fresque exhaustive du règne de Louis XIII et de Richelieu. De Richelieu on n'apprend rien quant à sa vie privée. Mais pouvait-il y avoir d'intimité pour un homme qui sacrifia tout à l'ambition, jusqu'à prévoir et ordonner le futur alors qu'il se sentait mourir. Sur son lit de mort il n'avait encore qu'un seul désir : organiser le pouvoir du roi, consolider l'avenir de la monarchie. Ce petit homme sec et souffreteux a maîtrisé son existence jusqu'à son agonie. Il a fait ce que la volonté seule peut gagner sur le temps : s'inventer un destin contre la fatalité divine.

■ Richelieu, Michel Carmona, Editions Fayard, 1983, ISBN : 2213012741

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