Baltimore, Gilles Barbedette
Raymond Aubrée est victime des mots. Depuis l'enfance, il sacrifie à un rite secret. Les mots ont une vie propre qui le dispense de croire en la sienne.
Une arme contre les blessures de l'existence : le vocabulaire français, épaissi de son double anglais, devient une carapace sinon un masque qui permet de tricher et de cacher une sensibilité à fleur de peau.
Très jeune orphelin de mère, le narrateur est privé du langage essentiel. Sur son lit de mort, la mère ne peut prononcer les paroles d'amour. L'enfant croit qu'elle parle "américain". Scène capitale et désespérée. Lire et traduire se substitueront à l'amour. Aubrée devient traducteur et professeur d'anglais.
Marié, deux filles, Raymond Aubrée se cherche une identité d'emprunt et choisit un pseudonyme, Baltimore, un nom solitaire et ample. Il a alors deux vies : il préserve le noyau familial et se laisse aimer par William Lemaire, un de ses élèves.
Suffit-il de multiplier ses noms pour enrichir sa vie, peut-on devenir un autre et ne pas oublier son enfance ? A posséder plusieurs adresses (rue du Temple et Goutte d'Or, deux façons d'être étranger.) décourage-t-on les filatures ?
Le thème de Baltimore est très riche. Il y a de superbes pages sur l'enfance, le père, la mort de la mère… et on détecte un grand talent d'écrivain. Pourtant Baltimore, romancier, n'arrive pas à se débarrasser de sa fascination pour la littérature et c'est sans doute-là que se situe la limite de ce roman : les allusions à Proust et à l'amitié passionnée entre James Boswell et Samuel Johnson ne peuvent que "titiller" les initiés.
Aussi égocentrique que soit un écrivain, il écrit pour autrui : dommage que « l'autisme » de Baltimore se dissimule derrière l'étalage de sa culture.
Il reste qu'il ne faudrait pas manquer de découvrir "Baltimore", pour y lire, aussi, un essai brillant sur la traduction.
■ Baltimore, Gilles Barbedette, Gallimard, 1991, ISBN : 2070723690
Du même auteur : Les volumes éphémères - Paris Gay 1925