Les sentiments, Christophe Donner
Mâle bâti
Guillaume est un enfant monstre. Son visage est nanti de lèvres épaisses. Cette difformité vient frapper une famille jusque-là très unie.
On peut décliner toutes les interprétations symboliques de cette bouche adulte greffée sur un corps de bébé.
Cette malformation heurte et divise les parents. Il est si réconfortant de croire que l'enfant est pur, innocent, préservé - comme une enfance sans cesse réhabilitée - de ces horreurs qui accompagnent la maturité. Premier thème subtil, riche d'abîmes, de ce roman de Christophe Donner. Mais le titre, "Les sentiments", donne à réfléchir. A l'opposé de tous les romans familiaux (cf. Mauriac, Bazin ou Queffelec) focalisés sur l'enfant qui se débat contre la tyrannie parentale, Christophe Donner explore l'autre catastrophe : l'amour que les parents s'obligent à éprouver pour leur rejeton.
Amour forcené qui peut engendrer la culpabilité lorsque l'on craint de ne pas suffisamment aimer l'enfant différent ou, pire encore, de le haïr parce qu'il vous abandonne et révèle - par son refus d'être une «chose» passive - les tricheries sirupeuses des adultes, ces «sentiments» sacrés censés nous sauver de la solitude du monde.
L'écriture sobre et vibrante, l'économie des moyens donnent aux "Sentiments" la puissance d'un sacrifice rituel. Le portrait du père, sentimental et égoïste, est remarquablement réussi.
■ Les sentiments, Christophe Donner, Editions du Seuil, 1990, ISBN : 2020123401
Du même auteur : Les lettres de mon petit frère - Tu ne jureras pas - L'Europe mordue par un chien - Le chagrin du tigre - Trois minutes de soleil en plus - Giton - Bang ! Bang !