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Yavana, Patrick Carré

Publié le par Jean-Yves Alt

Sous sa peau coule le feu. On l'appelle «Le Rouquin». Pyrrhon est ce philosophe grec, né et mort à Elis (- 365 à - 275), qui serait le fondateur du scepticisme (ou pyrrhonisme) dont le seul but est de garder la quiétude intime, hors de l'action et de la parole.

Sa peau de cuivre et son poil roux ont marqué la légende. Entre la blondeur imaginée de ses condisciples grecs et la sombre matité des orientaux, son physique rare souligne un tempérament incandescent et rebelle, attaché au feu de l'instant, un feu aussi ardent que celui du bûcher funéraire qui témoigne de l'ironie passagère de la vie.

Pyrrhon, c'est l'homme en fusion, le mélange des races, la rencontre entre l'Orient et l'Occident et aussi la prédominance de l'individualisme contre les coutumes et les fanatismes collectifs. Pyrrhon c'est le Grec (yavana en sanskrit), celui qui va nu.

Les biens de cette terre sont son corps et sa pensée, mieux encore le corps et la perception qu'il en a. Autant dire quelqu'un qui n'a pas d'autres ressources que la vie, avant de devenir poussière. Un antihéros qui ne court pas après la mort mais n'en fait pas toute une histoire. Un sage, loin des consolations de la résurrection des corps.

Fresque foisonnante, roman historique, fiction et essai philosophique, le roman de Patrick Carré, "Yavana" est un très grand livre. Il balaie d'un grand coup de vent salubre les petits romans nombriliques qui ressassent le regret et la nostalgie.

De nostalgie, il est pourtant question dans ce long roman initiatique qui raconte, en contrepoint fastueux, l'épopée d'Alexandre, le jeune héros capricieux amoureux fou de sa gloire (et des hommes), qui part à la conquête de l'Asie, entouré d'une cour de militaires et d'intellectuels, soutenu par l'amour de ses deux intimes : le beau Cleitos à la peau d'ébène et Héphaïstion, le tendre confident de son enfance.

Le roman est remarquablement construit selon les deux âges de la vie de Pyrrhon :

- sa longue marche à la suite d'Alexandre, en compagnie de son maître en philosophie, Anaxarque, protégé par le robuste esclave Méthiéso qui devient son ami et de la belle Curiaca, mince et dure comme un garçon.

- son retour au pays où le tentent la célébrité et les honneurs mais où il casse sa sinécure de grand prêtre pour poursuivre, inlassable, son destin d'homme heureux de ne croire en rien, abandonnant aussi sa sœur Philista, femme sans homme qui met au monde les enfants des autres.

De la vie, il accepte les bienfaits mais voit trop les ravages de la guerre, de l'ambition et de l'orgueil pour en désirer les vanités. Il assiste, épouvanté, à la condamnation de l'historien Callisthène par Alexandre, mais sait en même temps combien est triste le pouvoir qui rend monstrueux.

A l'opposé, il y a le sage indien Calanos et la quête de la joie immédiate, dont l'expérience de la drogue n'est pas exclue.

Les péripéties de ce vaste roman, qui s'appuie sur une trame historique tout en comblant habilement ses lacunes, sont autant de méditations pour un homme d'aujourd'hui qui refuse de gaspiller sa vie.

Le récit riche et complexe procure de nombreuses jouissances :

La description des plaisirs n'en est pas la moindre. Selon la meilleure tradition grecque, tout l'amour de Pyrrhon est allé à l'ami de jeunesse, Eudias le blond, avec qui il a tout partagé jusqu'à la volupté. Devenu adulte, les jeunes hommes l'attirent comme l'éphèbe Ménédème qui «n'était plus que cuisses aux muscles longs et fins... le fessier le plus rebondi...». Certaines femmes aussi comme Curiaca.

"Yavana" est un livre de vie. L'aventure intérieure d'un homme. L'exaltation d'un destin humain qui refuse les interdits, se méfie des dogmes et des discours.

Chant à la gloire de l'homme libre, "Yavana" est un roman heureux.

■ Yavana, Patrick Carré, Editions Phébus, 1991, ISBN : 2859401733

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