Incidents, Roland Barthes
Sept ans après sa mort (en 1980), les éditions du Seuil publièrent les derniers fragments littéraires de Roland Barthes. On y découvrait qu'il pratiquait entre Tanger et Saint-Germain, une homosexualité furtive et désappointée.
Est-ce parce qu'il craignait de faire de la peine à sa mère adorée, ou bien parce qu'il était un universitaire distingué, que Roland Barthes n'a pas osé vivre pleinement son homosexualité ?
Composé principalement d'aphorismes marocains écrits en 1969 et de pages de journaux (les seules qu'il ait jamais rédigées) datant de l'automne 1979, Incidents nous montre, en effet, un Roland Barthes solitaire, en quête, entre maux de tête et aigreurs d'estomac, de touche-pipi exotiques et d'amours vénales... Bref, un Roland Barthes intime comme on ne l'avait jamais lu auparavant.
Mais ces écrits posthumes sont malheureusement courts et doublement tristes : le lecteur s'aperçoit que Roland Barthes avait un joli brin de plume, gâché, peut-être, par une trop grande interrogation sur la forme et la signification de l'écrit. Ce maître du sens, extrêmement sensuel, constatera, six mois avant sa mort en mars 1980, que sa vie sentimentale avait été un fiasco définitif :
« Si je prends un à un mes amis, c'est chaque fois un échec. Il ne me restera plus que les gigolos. (Mais que ferai-je alors pendant mes sorties ? Je remarque sans cesse les jeunes hommes, désirant tout de suite en eux, d'être amoureux d'eux. Quel sera pour moi le spectacle du monde ?) - J'ai joué un peu de piano pour O., à sa demande, sachant dès lors que j'avais renoncé à lui ; il avait ses très beaux yeux, et sa figure douce, adoucie par ses longs cheveux : un être délicat mais inaccessible et énigmatique, à la fois doux et distant. Puis, je l'ai renvoyé, disant que j'avais à travailler, sachant que c'était fini, et qu'au-delà de lui quelque chose était fini : l'amour d'un garçon. » (page 116)
■ Incidents, Roland Barthes, Seuil, 1987, ISBN : 2020094533