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La foire aux garçons, Philippe Hériat (1934)

Publié le par Jean-Yves Alt

Quel étrange roman ! Tout y est prometteur d'abord : description du microcosme que sont les coulisses du music-hall, de leur faune. Là, tout promet d'y être, avec le caractère trempé de la directrice Mme Léone, qui s'écrie : « Des boys ! je veux des boys ! Des boys seuls ! Oui. Des boys sans girls ! »

Elle ajoute : « Qu'ils passent tous à poil sur le plateau. Et pas de caleçons, hein ! » Devant l'exigence avertie de la patronne – la plus réussie des dévoreuses de jeunes mâles riches – Philippe Hériat ajoute : « Quatre ou cinq Français s'exhibèrent ou se mirent en quête d'un slip, suivant leurs tendances. »

Cette Foire aux Garçons, parue en 1934, conte les amours de Rémy, de Loulou, de Jojo, de Boris, etc. Tous, plus ou moins, et souvent plus que moins, des gigolos. Ils font partie de cette marée de beaux gosses qui, chaque année, arrivés à l'âge d'amour, hantent les night-clubs, et certains établissements spécialisés, en espérant caser leur marchandise. Pas des garçons de passe, qui sont aujourd'hui les petits poisses d'alors. Mais des garçons, parfois sortis d'un milieu privilégié, qui entendent monnayer leur beauté, – leur narcissisme aidant. Ardents, quelques-uns. Beaucoup moins, la plupart d'entre eux.

Mais ils ont tous le culte de leur corps, et espèrent, ou le font croire, réussir dans le dessin, la mode, le disque, le ciné, sur les planches, etc. C'est leur boulot-alibi. En fait, leur individu, leur personne, leur pouvoir de séduction seuls leur importent – et leur rendement sur des amazones tenant leur sexualité en main, comme leur bourse. Aujourd'hui comme jadis, il y a du Chéri dans ces sous-hommes, beaux à rêver et assez pitoyables, puisqu'il n'y a pas d'amour au cœur de Don Juan.

L'un des gigolos de cette foire est quand même acteur, en s'aidant de son corps pour franchir les étapes : c'est Loulou Pecqueur qui, appelé par miracle à Hollywood, lance à son entraîneur Bruno :

« Allez, ma vieille, fini de rire ; va falloir te secouer !... Fais-moi un corps qui épate Hollywood ! Evidemment, je ne prétends pas dégommer Weissmuller (le Tarzan d'alors) ; mais il faut tout de même que je puisse montrer autant, que Clark Gable ou Gene Raymond. N'oubliez pas que les Américains, dès qu'ils starrent (Hériat invente le verbe) un type, ils le mettent à poil dans ses films. »

Rien de plus erroné : on connaît l'insigne pudeur qui régnait, du moins sur les plateaux, dans la Mecque d'alors, traumatisée par le code Hays.

Ça n'empêche pas le roman d'Hériat, avec ses nymphos sur le retour et leurs remontants, d'être plaisant. Mais l'auteur se garde bien, dans sa foire, de toucher à ce tabou d'alors : l'homosexualité. Ce n'est probablement pas l'envie qui lui a manqué : la description des garçons est souvent évocatrice. Il y a d'assez piquants tableaux d'hommes entre eux, par surprise, mais aller plus loin ? ça ne se faisait pas alors, du moins sans risque. La critique, avec ses vieilles barbes, était là, qui aurait fait les gros yeux, et les libraires et le public qui auraient boudé. Or, en 1934, et bien des témoignages s'accordent là-dessus, la vie gay était intense à Paris. Avec ses boîtes, ses bals, ses promenoirs, ses bains, ses restaurants et brasseries.

Dans ce roman, Philippe Hériat ne donne-t-il pas un témoignage faussé de la vie des gigolos d'alors ? Cette Foire n'est-elle pas un pseudo-document amusant, excitant par moments pour l'imagination, mais plus par ce qu'il suggère que par ce qu'il dit ?

■ La foire aux garçons, Philippe Hériat, éditions Denoël et Steele, 1934

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