Néons, Denis Belloc
« Néons », de Denis Belloc, se destine à ceux qui aiment les documents forts, où la lubricité devient état de fait, de vérité sociale. Innocence aussi, comme chez Jean Genet.
Son auteur, sorte de génération spontanée, prouve en tout cas que ni Céline, ni Genet n'avaient tout dit.
Denis Belloc ose se pencher sur son passé. Pas facile : tout ce qui l'a concerné déménage dans « le vice ».
C'est un jeudi soir, je vais faire des commissions rue de l'Ouest mon filet à provisions dans la main et un papier dans la poche de mon short. 1 kilo de pommes de terre, 1 laitue, 1 kilo de bananes (pas trop mûres et les moins chères). Il y a un grand type avec des moustaches très noires à l'autre bout de la pissotière, je regarde la queue de mon voisin mais ça m'intéresse pas, je préfère l'homme à la moustache, alors je sors de la pissotière, je vais rue de l'Ouest, il y a des marchandes de quatre-saisons et la pluie se met à tomber très fort, je m'abrite dans l'entrée d'un immeuble, il me rejoint, il dit : « T'es joli garçon, on pourrait se revoir ! Attends, je sors mon agenda. » C'est pas un agenda c'est un portefeuille, il l'ouvre et il me montre une carte avec deux traits rouge et bleu, il dit : « Police, je t'emmène, » alors je me mets à trembler et à transpirer je veux fuir je sens plus mes jambes il demande :
« Ça fait longtemps que tu fais ça ? T'as quel âge ?
— J'ai douze ans et demi...
— T'as des papiers sur toi ? »
Je sors ma carte de famille nombreuse.
« Tes parents sont au courant ?
— Non, non, monsieur !
— Bon, écoute-moi bien : tu vas filer et si je te revois là-bas, je t'embarque au poste. »
Il part et je respire très fort.
À la loge elle dit : « Merde, t'as oublié les bananes. » Et ce soir-là j'apprends ma leçon par cœur et je remets pas les pieds dans la pissotière pendant deux mois. Je veux plus de shorts, je veux des pantalons. »
Enfant d'une mère dépassée par l'adversité, mariée à un mari cogneur, perdu au sein d'une famille nombreuse et mal dans sa peau, Denis, à 12 ans, connaît les vespasiennes parisiennes, les travelos, le tapin, la baise juvénile (il fait tout pour 50 balles), les partouzes au Bois, où le « gode » a son rôle, la maison de redressement, la prison et toutes les défonces. Denis Belloc a mis le paquet, comme on dit.
Un type dans le bois, avec un sac en plastique dans la main. Je le suis, je veux savoir pour le sac. Le type est contre un arbre, il sort du sac un godemichet. J'écarte les fesses du type et j'enfonce le gode doucement comme un thermomètre à un môme Je sais qu'ils sont là, derrière les arbres et les troènes. Je lime sur toute la longueur du caoutchouc, lentement. Ils arrivent. Une dizaine, plus peut-être. Je branle et je suce et je guide les queues dans l'orifice du type appuyé contre l'arbre.
Y en a un qui se tient à l'écart, il est grand et barbu, je crois que ses yeux sont bleus, il se touche pas, il regarde. Je veux qu'il participe. Je m'approche. Ma main vers sa braguette, il se recule. Je ne comprends pas ce qu'il dit.
J'entends des mots : « morbide », « dépravé » et puis « pauvre type ». Je reviens près de l'arbre. J'enfonce le gode entre mes fesses.
Je cherche le mot dans mon dico : MORBIDE : relatif à la maladie : état morbide. Qui dénote un déséquilibre maladif, dépravé : imagination morbide. DÉPRAVÉ : Gâté : goût dépravé. Perverti, débauché. Pour « pauvre type », je cherche pas. Je sais.
■ Néons, Denis Belloc, 1987, éditions Balland (réédition), 1996, ISBN : 2715811020 et éditions Chemin de Fer, 2017, ISBN : 978-2916130903
Du même auteur : Képas - Suzanne - Les ailes de Julien