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America de William Cliff

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce recueil de poèmes publié par William Cliff est superbe. Le poète a quitté sa Belgique natale pour voyager et pour écrire. Loin des urgences d'un quotidien ressassé il se retrouve, prophète et vagabond, au cœur du chant essentiel qui célèbre les seules noces possibles : celles du désir et de la nostalgie.

Pour écouter Cliff, il faut accepter l'Océan, loin des rivages. Aux tripes de chacun, la mer encore disponible, fait gémir la mémoire. Oublier la frénésie de la ville européenne, la pulsation noire de la terre ferme – comme on dit à propos d'un lieu si fragile.

« America » est le titre du recueil qui parle de la fuite, de la course onirique qui ramène au centre de l'éphémère. De la mer et des marins il est beaucoup question. Quelle autre solution pour rompre avec les codes, la morale et le temps ?

William Cliff rapporte sa litanie d'un long périple aux Amériques. Il est poète. Son écriture est immédiatement perceptible. A Rimbaud, on pense bien sûr : jeunesse, violence et liberté.

Il revient là tout seul s'asseoir au bastingage y appuyer sa tête

et moudre ses pensées de pauvre marin solitaire

jusqu'à ce que la nuit le jette en pleurs sur son grabat

il voudrait tant que je lui trouve en Belgique une fille

qu'il aimerait dit-il dévotement toute sa vie

et pour laquelle il jure de trimer comme un forçat

mais il a déjà femme et trois enfants dans sa patrie

à Santos un enfant blond aux grands yeux bleus lui dit papa

et à Rio c'est un Monsieur qui s'ouvre à ses envies

William Cliff se dit au hasard des rencontres, quand le nomade surgit :

(...) il m'avoua qu'au Brésil en effet pas mal de mâles

se donnaient au plaisir entre eux surtout à Pelotas

ville de garnison près de la frontière Uruguay

je me jurai de visiter cet endroit de débauche

car depuis plus d'un mois j'étais en manque de ces choses

A l'amour des adolescents :

(...) il ferait peur si l'on

ne savait pas qu'il a seize ans

la peau pulpeuse d'un enfant...

William Cliff écrit dans une langue simple et dense, il dit la somptuosité de l'amour des garçons, quand l'homosexualité est la démarcation monstrueuse et sublime qui isole de la foule des « bien-convenables-pédés-récupérés ». Il crie tout ce que d'autres n'osent plus murmurer. Il connaît la beauté du regard du visiteur toujours en exil. Il sait considérer sa marginalité comme un luxe et non comme une condamnation. La différence entre le grand large pénétré de ciel et les ports blessés de pourriture.

■ America de William Cliff, Editions Gallimard, 1983, ISBN : 2070228118


Lire un autre extrait du recueil « America »


Lire encore William Cliff, véritable révolté

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