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Les cœurs sensibles, Roger Vrigny

Publié le par Jean-Yves Alt

Vivre n'est pas une conquête, jamais une victoire, mais des fragments de vertige et de joie, l'amour parfois, l'art et la nostalgie de toutes les vies qui nous échappent. Telle est la « certitude », à contre-courant des vanités de notre époque, qui s'illustre dans ce long roman.

« Les cœurs sensibles » est un très beau triple récit, voué aux zones d'ombre de la passion qui paradoxalement conduisent à la lumière. Roman qui rappelle l'importance de s'accorder du temps, condition nécessaire pour redonner une cohérence à ce qui avait paru chaotique.

« Les cœurs sensibles » réunit le destin de trois personnages : Arban, Odile et Norbert, de l'après-guerre à Mai 68. Arban, le titre du premier récit, était déjà le titre d'un roman de Roger Vrigny paru en 1954. Que l'écrivain l'ait ressuscité pour l'inclure dans cette trilogie romanesque montre que le romancier menait une double vie ; la vie la plus « réelle » étant celle qu'il inventait à partir d'un espoir inassouvi.

« Les cœurs sensibles » est la chronique d'une longue jeunesse, des collèges de l'adolescence aux exploits adultes.

Le premier récit : Arban, roman dans le roman, est une très belle histoire d'amour muette et feutrée, hors du temps, hors des combats de l'histoire, dans les marges de la vie apparente, un intermède qui passe inaperçu aux yeux des témoins les plus proches. L'attirance d'un homme jeune pour un adolescent. Ici pas de révélations ni de coming-out particulièrement sexuel, mais en contrepoint d'une vie ordinaire que l'on suppose raisonnable, une passion qui s'ignore presque, un doux flamboiement comme un adieu éternel à sa propre enfance.

Les trois récits qui composent la fresque romanesque se répondent à travers le temps et mettent en scène, outre Arban et Norbert, le monde de la littérature, le double problème de la vie et du roman.

Ecrire serait, comme aimer, une tentative désespérée vers l'autre, la volonté de se comprendre soi-même et une aventure qui parfois dérape, mais toujours redonne l'espérance. Vivre et écrire seraient indissociables pour qui aime trop le temps terrestre pour s'y perdre.

« Les cœurs sensibles » est le « roman d'une vie » parce qu'il réunit les histoires fictives et réelles que la mémoire crée, dévoilant le flux d'une identité secrète bien plus véridique que chaque fait et geste. Autant dire que la fiction se nourrit de la solitude et de ce qui est au cœur de toute vie : la fuite du temps et la tentation de l'éternité.

■ Les cœurs sensibles, Roger Vrigny, Editions Gallimard, 1990, ISBN : 2070719782


Du même auteur : Accident de parcours - Le bonhomme d'Ampère - Le garçon d'orage - Instants dérobés

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