Lui et elle : voix d'elle
Avant ma rencontre avec lui, j'étais en proie à une pénible incertitude amoureuse, partagée entre la quête d'un compagnon idéal et un certain goût pour la liberté. Je ne voulais surtout pas confondre, comme mes amies les plus proches, reproduction et amour : cette maldonne gâcherait l'une et l'autre.
J'avais toujours entendu dire que les rencontres ne se faisaient qu'entre jeunes gens désirables. Lui m'avait contacté par l'intermédiaire de mon site où je proposais régulièrement — j'ai cessé depuis — à mes lecteurs des énigmes mathématiques. Autant dire que les contacts, noués jusque-là, avec d’autres, n'étaient en rien éclairés par la grâce.
Il s'est montré d'abord aimable et prévenant. Je n'ai jamais su comment il m'a découverte. Quel était au juste l'objet de sa démarche ? Je l'ai oublié, mais ce dont je suis sûre, c'est qu'il ne concernait en rien mes énigmes. Grand mystère, qui n’a pas fait, au début, obstacle à notre relation qui m’illuminait.
C’est son regard qui englobait le temps et l'espace qui m’a d’abord impressionnée ; son intelligence aussi ; son irruption dans ma vie comme un bienfait, je l'ai découverte ensuite. J’espérais qu'il me réconcilierait avec l'humanité.
Dans ses mots, signes de ses souffrances et de ses joies, il me faisait penser à ces personnages nés du ventre de Milan Kundera.
Peu à peu, la peur s'est installée. Peur de moi, de lui et moi. Pourtant cette peur avait son charme et entretenait mon désir de poursuivre : elle nourrissait appel et réponse.
Quand il mettait en scène le jeu suprême de l'humanité qui croit aux codes mais invente ses dieux, il était sans doute sincère. Était-ce son fil conducteur ?
Aujourd'hui, je peux affirmer qu'il était un fil destructeur – celui qui ne pouvait conduire qu'à un drame. Je croyais être Ariane attendant le retour de son bien-aimé. Je me trompais.
Il a troublé ma conscience jusqu'au jour où j'ai découvert que tout ne reposait que sur des mots : il m’avait menti au sujet d’une personne qu’il disait aider financièrement alors qu’il n’en était rien. L’action concrète n'avait aucune réalité pour lui et il préférait le flou. Sa conscience était indécise comme celle des enfants.
Il m’a fallu du temps pour m’apercevoir qu’il n'avait jamais été totalement avec moi. Peut-être parce qu'il était trop occupé à masquer ce qu'il avait au fond de lui. Pour quelles raisons refusait-il cette part de lui-même ?
Dans le silence qui suivit ce qui serait notre dernier échange, j'ai songé que j'avais une nouvelle fois été bien imprudente. Bergère effrayée par le Loup. Des larmes, me dis-je, ne seront, cette fois, pas versées.
Tous mes remerciements à Lionel Labosse pour son aide précieuse dans l’écriture de cette micro-fiction.