L'école, lieu de déni et de souffrance pour les jeunes pédés par Pascale Kremer
Entre garçons, « pédé » est l'insulte la mieux partagée. Les filles, elles, écopent d'un « sale gouine » quand elles refusent des avances. Dans les collèges et lycées, au moment même où certains jeunes se découvrent homosexuels, l'insulte homophobe est reine. […]
Quelque 12 000 personnes se suicident chaque année. Parmi elles, bon nombre de jeunes : le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans. Au Canada, dès 1994, une étude du ministère de la santé montrait que les homosexuels font partie des premiers groupes à risque. […]
[…] l'école est « le » lieu de souffrance, le lieu d'invisibilité pour les jeunes gays, [… rappelle] Michel Dorais, professeur en sciences sociales à l'université Laval, au Québec :
« C'est là que se construit le dégoût de soi-même qui mène à la tentation suicidaire. »
Quolibets, insultes, bousculades, agressions physiques, parfois quotidiennes, et encore peur, solitude, dépréciation de soi [… sont] la – sombre – réalité quant au vécu de l'homosexualité au collège, puis au lycée, à ces âges où sexisme et homophobie soulagent certains jeunes de leurs propres angoisses identitaires.
D'autant que le silence de l'institution scolaire sur l'homosexualité plaide en faveur de sa dépréciation. L'homosexualité est absente des manuels scolaires. « […] En 3e, on arrive aux camps de concentration, et là, on fait apparaître les homosexuels pour les exterminer ! », a ironisé une enseignante. L'homosexualité des écrivains ou personnages historiques n'est quasiment jamais mentionnée. En cours de sciences naturelles, la sexualité n'est abordée que dans ses visées reproductives. […] L'école participe au maintien de l'ignorance, des tabous et préjugés, alors qu'elle devrait apprendre aux jeunes à lire l'homophobie comme une forme de discrimination comme une autre.
[…] enseignants, chefs d'établissement, infirmières scolaires et assistantes sociales peinent à aborder ces sujets. Lorsqu'eux-mêmes sont homosexuels, et pourraient représenter des modèles positifs pour les jeunes concernés, « ils le cachent […] par peur de l'amalgame pédophile. Par crainte pour leur carrière. […] la paranoïa totale autour de la pédophilie bloque tout débat sur l'homosexualité […] »
Le Monde, extrait de l'article de Pascale Kremer du 24 juin 2001